Chapitre 14

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Trois ans plus tard...
Clark, qui a maintenant treize ans, erre sans but à la foire du comté. Il s'ennuie et cherche quelque chose à faire. Sa mère se tient près du stand de pâtisseries où elle espère gagner un nouveau prix grâce à sa tarte à la rhubarbe. Son père, lui, est en train de détailler les machines agricoles exposées. Clark voit bien assez de tracteurs et de moissonneuses tous les jours, il aimerait donc trouver quelque chose de plus amusant à faire.
Le souci, c'est qu'il ne sait pas quoi.
La foule envahit les allées de la foire et se presse autour des différentes attractions. L'air frais automnal est rempli d'odeurs de cidre, d'épis de maïs grillés et de bétail. Des étables et des granges à ciel ouvert retiennent des vaches primées, des chèvres, des moutons, des porcs et des lapins. Sur un stand s'entassent des tricots, des broderies et d'autres fabrications faites main. Un groupe local de musique country joue dans un petit kiosque, et leur mélodie résonne dans toute la foire. Clark ne les trouve pas mauvais.
Il se sent un peu coupable de ne pas rejoindre son père, mais il a décidé que, plus tard, il ne serait pas agriculteur. Il ne sait pas encore vraiment ce qu'il fera de sa vie, et de ses talents spéciaux, mais il imagine que cela n'aura rien à voir avec les récoltes. Agriculteur est un métier noble, mais on n'a pas besoin de super-pouvoirs pour être un bon fermier. Il sent qu'il y a une raison pour laquelle il possède de telles capacités. Mais laquelle ?
- Approchez-vous, approchez-vous ! s'exclame un des exposants de la foire en interrompant la réflexion de Clark. Venez essayer le labyrinthe de maïs !
Ce labyrinthe, qui s'étend sur plus de deux hectares, offre aux spectateurs de tous âges la possibilité de se perdre entre des rangées de maïs installées selon des plans compliqués, pleines de tournants et de culs-de-sac. Les épis sont trop hauts pour qu'on puisse voir au-dessus et trop épais pour regarder à travers... sauf si on s'appelle Clark, bien sûr.
Il songe un instant à tester le labyrinthe, mais ce serait trop facile pour lui de tricher grâce à sa super-vision. Il pourrait trouver la sortie en un instant s'il le voulait. Il préfère donc se tourner vers le stand de bowling-citrouille.
- Allez, jeune homme ! encourage un des bénévoles de la foire en s'adressant à Clark. Viens essayer !
Plusieurs pistes de bowling en plein air ont été installées près d'un tas de citrouilles orange. L'objectif est de faire rouler une véritable citrouille pour faire tomber les quilles à l'autre bout. C'est plus dur que cela en a l'air.
- D'accord, répond Clark qui n'a rien de mieux à faire. Pourquoi pas ?!
Il s'empare d'une citrouille bien ronde en faisant semblant de la trouver lourde. En réalité, il aurait pu la soulever d'un doigt, mais il se sert plutôt de ses deux mains. Quelques passants s'arrêtent pour l'observer.
- Hé, regardez ! C'est Kent ! lance une voix familière.
Clark gémit intérieurement. C'est Whitney, accompagné de ses amis.
- La citrouille est trop lourde pour toi, minable ? demande la brute, ravie de pouvoir de nouveau se moquer du garçon.
Trois ans se sont écoulés depuis que Clark a secrètement sauvé la vie de Whitney, mais celui-ci est toujours aussi insupportable. Certaines choses ne changent jamais.
- Tu devrais peut-être en prendre une plus petite ! continue Whitney.
Clark a envie de se valoriser en faisant tomber toutes les quilles d'un coup, mais cela risquerait d'attirer l'attention. Il vaut mieux se montrer prudent.
- Je peux m'en sortir, Whitney, répond-il.
Clark feint de haleter sous l'effort et lance la citrouille à deux mains. Elle rebondit sur la piste, mais n'a pas assez de puissance pour faire tomber plus de deux quilles. Les autres restent bien droites.
- Pas de chance ! déclare le bénévole responsable du jeu. Peut-être la prochaine fois...
- C'est le mieux que tu puisses faire ? ricane Whitney, peu impressionné. Laisse-moi te montrer  comment on fait.
Il marche d'un air fanfaron vers le tas de citrouilles et soulève la plus grosse d'entre elles. Il lance le lourd projectile orange sur une autre piste et renverse les dix quilles d'un coup. Ses amis poussent des cris de joie et le félicitent. Le responsable lui remet un gros ours en peluche en guise de récompense.
- Super ! se vante Whitney. Tu vois, Kent ? C'est comme ça qu'on joue !
Clark est fou de rage, mais il se contrôle, comme ses parents le lui ont toujours enseigné. Il reste les bras ballants alors que Whitney et ses acolytes le poussent pour se diriger vers le labyrinthe de maïs. Clark les entend rire et se moquer de lui. Whitney jette l'ours en peluche dans une poubelle. Il n'en voulait pas, il avait simplement envie de battre Clark.
- Ton premier lancer n'était pas si mauvais, le console le responsable, qui a l'air désolé le garçon. Tu veux réessayer ?
Clark secoue la tête. Whitney et ses amis ont gâché son plaisir. Il est frustré de ne pas pouvoir utiliser toute sa force. Il commence à en avoir assez de toujours se retenir. À quoi bon avoir tous ces super-pouvoirs s'il ne peut jamais s'en servir ?
- Non, merci, répond-il.
Peut-être qu'il devrait juste aller se chercher quelque chose à manger. Il est en train d'hésiter entre un hamburger et un hot-dog lorsqu'il sent de la fumée qui  s'échappe du fin fond du labyrinthe de maïs. Des cris et des hurlements attirent son attention. Une foule de gens affolés, dont Whitney et ses amis, se précipite hors du labyrinthe qui semble avoir pris feu.
L'incendie s'étend très vite. Des flammes jaunes et orange dévorent les rangées de maïs et les transforment en murs de feu de trois mètres de hauteur. Clark sent la chaleur sur son visage. Il espère que personne ne se trouve à l'intérieur.
- Ma fille ! s'écrie une femme désespérée. Est-ce que quelqu'un a vu ma fille ?
Elle tente de se jeter dans le brasier, mais ses voisins la retiennent. C'est trop dangereux de pénétrer à l'intérieur du labyrinthe, les flammes se multiplient trop rapidement. Partout, les feuilles de maïs se consument.
- Lâchez-moi ! hurle la femme. Je dois retrouver Susie !
Le bruit d'une alarme incendie vient s'ajouter au chaos. Le temps d'attendre que les pompiers se fraient un chemin à travers la foule, il sera trop tard. Clark ignore les gens paniqués qui le bousculent et scrute le labyrinthe avec sa super-vision.
Il aperçoit rapidement une petite fille de sept ans à peine, perdue au milieu des épis de maïs en feu. Elle est en train de pleurer, mais ses sanglots sont couverts par les sirènes et le rugissement des flammes. Le labyrinthe est rempli de fumée, et Susie étouffe. Elle est toujours en vie, mais Clark doit agir vite.
Personne ne fait attention à lui dans ce chaos. Il prend une grande inspiration et se jette tête la première dans le feu.
Tiens bon, Susie, pense-t-il. J'arrive !
Des rangées de maïs enflammé l'entourent de toutes parts. Clark ne cherche pas à suivre le labyrinthe, il traverse juste les murs en ligne droite vers la fillette. Les flammes brûlent ses vêtements, mais ne roussissent même pas sa peau, indestructible. La fumée épaisse aveuglerait n'importe qui ; Clark, lui, regarde directement au travers.
Il franchit un mur de feu pour atteindre Susie. La fumée et la suie dissimulent son visage. De toute façon, la petite fille est si terrifiée qu'elle ne le reconnaîtrait pas. Elle court vers lui en pleurant.
- Tout va bien, la rassure Clark. Je suis là.
Il la prend dans ses bras et cherche autour de lui un moyen de sortir. Le chemin qu'il a tracé à l'aller grâce à sa force brute a déjà disparu sous les flammes et la fumée. Cela ne lui pose aucun problème, mais pour Susie, c'est une autre affaire. Elle a déjà du mal à respirer. Il faut qu'il l'éloigne du feu le plus vite possible. Il lève les yeux au ciel. C'est la voie la plus sûre.
Il s'accroupit, puis bondit dans les airs. Son saut est assez puissant pour les projeter tous deux loin au-dessus des épis de maïs en flammes et de la fumée. Les enfants atterrissent sur une aire de pique-nique à l'extérieur du labyrinthe. Les tables et les bancs sont vides, abandonnés par les visiteurs affolés.
- Ça va ? demande Clark.
- Euh... oui, répond Susie. Je crois.
Malgré la toux qui accompagne ses mots, elle semble mieux respirer. Clark examine rapidement ses poumons avec sa super-vision et ne détecte aucun dommage. Susie regarde avec de grands yeux son sauveur, recouvert de suie et de cendres.
- Qui es-tu ? demande-t-elle.
- Juste un ami, répond Clark.
De nombreuses personnes se précipitent vers eux. Le garçon réalise qu'il doit fuir avant qu'on le reconnaisse malgré la suie. Il aperçoit la mère de Susie dans la foule et lui tend hâtivement l'enfant.
- Voilà, madame, lance-t-il en déguisant sa voix. Elle va bien.
- Susie ! s'exclame la mère en serrant sa fille dans ses bras. Dieu merci, du n'as rien !
Des larmes de bonheur coulent sur ses joues.
Clark n'attend pas qu'on le remercie. Il se jette de nouveau dans le labyrinthe en feu, certain que personne de sensé ne le suivra jamais là. La tempête de flammes ne le perturbe pas plus que ça tandis qu'il réfléchit à la suite des événements.
Que faire ? Sa super-vision lui confirme que personne d'autre n'est coincé dans le labyrinthe, mais le danger n'est pas écarté pour autant. Le feu menace de s'étendre au reste de la foire, avec ses stands collés les uns contre les autres et ses granges pleines de paille. Les vaches, les chevaux et le reste du bétail s'affolent déjà. Clark est inquiet pour ses parents, et pour les centaines de visiteurs et d'animaux qui se trouvent à proximité. Et s'ils ne parvenaient pas à fuir assez vite ?
Le garçon aperçoit un château d'eau non loin de là qui s'élève au-dessus de la foire. Soudain, il sait quoi faire.
Les flammes et la fumée le dissimulent alors qu'il bondit hors du labyrinthe. Il atterrit au pied du château d'eau. D'épais piliers d'acier de plus de quarante mètres soutiennent un énorme réservoir rempli de plus d'un million de litres d'eau !
Ça devrait suffire, pense Clark.
Il observe la foire et vérifie qu'il ne reste personne sur le chemin. Heureusement, les gens se sont enfuis loin du labyrinthe. Les pompiers essaient toujours de se frayer un chemin à travers la foule pour atteindre le feu, mais Clark se rend bien compte qu'ils n'arriveront jamais à temps.
Tout dépend de lui.
Il aligne le château d'eau avec le labyrinthe et commence à pousser l'un des piliers. L'énorme réservoir rempli à ras bord est plus lourd que tout ce qu'il a jamais tenté de déplacer, mais il pose son épaule contre l'acier et utilise toute sa super-force. Il grogne sous l'effort. Cette fois-ci, il ne fait pas semblant : ce n'est pas aussi facile que de soulever une citrouille. Il serre les dents.
Pendant un moment, le château d'eau refuse de bouger, puis il commence à céder. Dès que le réservoir se met à pencher, la gravité s'occupe du reste. Les énormes piliers d'acier s'arrachent de leurs amarres en béton, et le bâtiment entier s'effondre.
Attention là-dessous !
Le réservoir s'écrase sur le labyrinthe en feu. Le métal explose, et des milliers de litres d'eau se répandent sur les flammes qui s'éteignent aussitôt. Un gigantesque panache de fumée s'élève dans les airs. Les pompiers et les spectateurs poussent des cris de joie. La foire est sauvée !
Mais personne ne doit savoir qui a éteint le feu et sauvé Susie. Clark s'échappe des fondations du château d'eau avant que quiconque ne le voie. La chute inespérée du réservoir devra rester un mystère. Clark se demande comment les journaux l'expliqueront.
Il nettoie la suie sur son visage et rejoint la foule. Il est rassuré de voir ses parents sains et saufs dans un parking à proximité ; le périmètre de la foire est désormais interdit au public. Des centaines de personnes s'agitent dans tous les sens en observant le spectacle. D'autres fuient en voiture aussi loin qu'elles le peuvent. Jonathan et Martha attendent près de leur camionnette. Ils sont soulagés de voir arriver leur fils.
- Clark ! s'exclame sa mère en se précipitant vers lui pour le serrer dans ses bras. Nous t'avons cherché partout !
Le garçon n'est pas certain qu'il doive leur dire ce qu'il a fait.
- Euh... j'étais un peu occupé, répond-il finalement.
- Tu m'étonnes ! répond Jonathan, qui a tout compris.
Il regarde les vêtements carbonisés de son fils et lui tend sa propre veste pour couvrir le tissu brûlé. Il lui sourit.
- Bien joué, fiston. Je suis fier de toi.
Clark réalise que son père connaît la vérité.
- Tu n'es pas en colère parce que j'ai utilisé mes pouvoirs ?
- D'après ce que j'ai compris, tu as sauvé une petite fille, et même la foire toute entière, répond Jonathan en haussant les épaules. Difficile de te punir pour ça !
Il baisse la voix, regarde autour de lui pour vérifier que personne ne les écoute, puis ajoute :
- Personne ne t'a vu, n'est-ce pas ?
Clark secoue la tête.
-Je ne crois pas, répond-il. Il y avait beaucoup de fumée, de chaos. Tout le monde fuyait les flammes.
- Parfait, conclut Jonathan. Tu deviens grand. Il va falloir qu'on te laisse prendre des décisions tout seul, parfois.
Le fermier pose une main sur l'épaule de son fils. Il observe les restes fumants de l'incendie, qui n'est plus en danger pour la foire inondée. De l'eau boueuse charrie des cendres et des épis de maïs carbonisés. Le bétail est libéré et emmené en sécurité. Jonathan hoche la tête avec approbation.
- Aujourd'hui, on dirait que tu as pris la bonne décision.
- J'en suis sûre, intervient Martha. Et je suis certaine que la mère de cette fillette te remercierait si elle le pouvait.
Les louanges de ses parents réchauffent le coeur de Clark. Il se sent fier de lui et content d'avoir pu utiliser ses pouvoirs pour éviter une tragédie, comme lorsqu'il a sauvé Whitney de la noyade, il y a quelques années. Ça lui semble naturel d'exploiter ses talents ainsi, un peu comme si c'était son destin. Il se sent tout à coup très reconnaissant d'avoir de tels pouvoirs.
Il ne comprend toujours pas pourquoi il est différent des autres, mais il sait désormais ce qu'il veut faire de sa vie et connaît la raison pour laquelle il est pourvu de telles aptitudes : il est né pour aider les gens.

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