Chapitre 4 : Équilibre

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C'est ainsi que nous avions commencé à «ne pas sortir ensemble», tout en s'envoyant des SMS à longueur de temps, parlant de tout et de rien, et en passant régulièrement nos soirées tous les deux

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C'est ainsi que nous avions commencé à «ne pas sortir ensemble», tout en s'envoyant des SMS à longueur de temps, parlant de tout et de rien, et en passant régulièrement nos soirées tous les deux. Autant dire que je m'étais beaucoup désintéressé de mes études. J'avais eu mes partiels de justesse, bien plus préoccupé de savoir quand Sacha allait dormir chez moi que par un avenir qui me paraissait si lointain qu'il en devenait inaccessible. De toute façon, je n'étais même pas sûr de vouloir devenir prof, alors autant profiter du moment présent.

Cet état d'esprit insouciant m'avait poussé plus d'une fois à sécher les premiers cours de la journée pour passer plus de temps à m'enivrer de la présence du musicien. Tantôt nous nous sautions dessus au réveil, tantôt nous rattrapions les nuits trop courtes, blottis l'un contre l'autre, tantôt nous paressions au lit en parlant à mi-voix, racontant des souvenirs ou débattant sur des sujets aussi futiles que les techniques pour enfiler une couette dans sa housse ou l'origine d'une expression fleurie. Nous nous cherchions sans cesse de fausses excuses pour ne pas nous lever pendant des heures... Mon cœur débordait de bonheur dans ces moments parfaits. Laurent désapprouvait mes absences mais, bon camarade, me prêtait quand même ses cours quand il me voyait revenir, épuisé et bienheureux.

Sacha restait égal à lui-même, chat errant aussi sauvage que fragile. Il disparaissait parfois pendant plusieurs jours, absorbé par la musique, et rejaillissait ensuite de nulle part, les yeux brillants de passion, amaigri d'avoir oublié de manger une fois de plus, mourant d'impatience de me faire découvrir sa dernière création. À chaque fois qu'il passait la porte de mon appartement, je le jaugeais du regard et fouillais mentalement mes placards pour inventer le repas le plus riche et festif possible. J'avais toujours apprécié de cuisiner, mais le faire pour quelqu'un que j'aimais, c'était autre chose.

Parce que oui, au bout de quelques semaines passées ensemble, j'avais fini par m'avouer que j'étais éperdument amoureux de ce petit brun qui allait et venait dans ma vie, transformant mon cœur en yoyo ; mais je le sentais, cette vérité-là était taboue. 

Plus je le connaissais, et plus il était évident que si je tentais de l'enfermer dans une relation, de le garder pour moi seul, de l'arracher à sa musique et à ses amis qui l'accueillaient régulièrement, il s'enfuirait comme un animal sauvage et ne réapparaîtrait plus jamais. Cette idée m'étant insupportable, je serrais les dents, faisant taire mes inquiétudes et ma jalousie à l'idée que peut-être, je n'étais pas le seul avec qui il partageait son lit. 

Après tout, nous nous ressemblions. Je n'avais pas toujours été exclusif, faute d'avoir vécu beaucoup de véritables relations. Est-ce qu'il avait cherché des rencontres charnelles pour se sentir désiré, possédé, peu importe par qui, peu importe combien de temps ? J'en étais presque sûr. Est-ce qu'il continuait ? Je ne voulais pas le savoir, l'idée était trop douloureuse.

Sans jamais réclamer quelque chose de sa part, je m'accrochais à ce qu'il me donnait librement, ses messages, ses morceaux de guitare, ses baisers et ces nuits blanches passées ensemble, comme autant de miettes pour mon cœur affamé. D'autres avant lui m'avaient rejeté à cause de ma possessivité, de ma mélancolie, je ne voulais pas que ça arrive une fois de plus. Pas avec lui.

J'espérais que le temps l'attache de plus en plus à moi, et il me semblait bien que c'était le cas. Nous étions complices, sous la couette et en dehors. Je m'étais laissé aller à lui parler de mon passé, de cette famille que je haïssais, de ma petite sœur, cette môme fragile et lunaire tombée par hasard au pays des snobs, des après-midis passées à sécher les cours pour picoler sur les quais, de ces amitiés que la distance avait délavés... J'évitais en revanche de m'épancher sur mes nombreux déboires amoureux, ma solitude et ma jalousie, gardant pour moi cette face obscure et détestable qui ressurgissait quand j'étais seul.

Il était aussi très bavard, et je ne me lassais pas de ses anecdotes de musicien, quand il me partageait ses maladresses, ses pics d'inspiration inappropriées, les frasques des soirées trop alcoolisées avec son ancien groupe. Il y avait beaucoup à raconter, même s'il évitait soigneusement de parler de Jonathan, celui qui avait mis fin à ces aventures en le jetant dehors. La tristesse qu'il avait dans le regard quand il y repensait me poussait à changer de sujet, voire d'activité, pour le distraire de ce triste souvenir, tout comme il le faisait quand il voyait que me remémorer mon ancienne colocation ou qu'autre chose me rendait mélancolique. Mes lèvres effaçaient tout cela pour le remplacer par un bonheur aussi profond que fugace.

Stray catOù les histoires vivent. Découvrez maintenant