Chapitre 1 : Perdu

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— Qu'est-ce que je te sers ?

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— Qu'est-ce que je te sers ?

— Un whisky-coca, s'il te plaît, fit-il d'une voix lente.

— J'apporte ces bières et je te fais ça.

Je revins derrière le bar pour préparer le cocktail et lui tendis sa commande avec un sourire qui le sembla le prendre au dépourvu. Il rougit en attrapant le verre d'un geste mal assuré, et je sus qu'il n'en était pas à sa première escale. Son embarras me donna l'impression de lui plaire, mais mon pessimisme naturel enterra immédiatement l'idée. Je savais que j'avais comme spécialité de jeter mon dévolu sur des personnes hétérosexuelles, en couple, parfois les deux, et dans tous les cas, pas intéressées par ma personne. Avec mes cheveux chaotiques, mes lunettes et mes restes d'acné juvénile, je n'avais rien de bien remarquable. Je m'étais résigné à accepter qu'à de rares exceptions près, je ne provoquais ni désir ni intérêt chez les autres.

Malgré ces sombres pensées, je ne pus m'empêcher de l'observer à la dérobée. Il était jeune, plus que moi sans doute, et avait l'air éperdu de tristesse. Sans rien connaître de lui, je sentis mon cœur se serrer. Quels événements l'avaient amené à échouer ici, seul devant un cocktail ?

Soudain, je réalisai qu'il était peut-être mineur. J'aurais dû lui demander sa carte d'identité avant de le servir, mais une fois la consommation payée, c'était délicat. Il risquait de mal le prendre et je ne me sentais pas très légitime à demander ça alors que je n'avais pas vingt ans moi-même. Puis, soyons honnêtes, qui attendait d'être majeur pour boire ? Je continuai à servir d'autres clients, me sentant coupable tout de même.

Entre deux pintes, je coulai un regard envieux en direction de la cour intérieure. En général, j'arrivais à m'autoriser une ou deux pauses cigarette, mais avec l'absence de Romain, je ne pourrais pas me le permettre aujourd'hui. La soirée promettait d'être longue.

— Ah, c'est dégueulasse, cracha l'inconnu à mi-voix après avoir avalé une gorgée. Comment peut-il aimer ça ?

— Ah, désolé, je l'ai trop chargé ?

— Non, c'est juste que je n'aime pas ça.

— Pourquoi tu en as pris alors ? demandai-je spontanément avant de me mordre les lèvres.

Il écarquilla ses yeux trop grands et eut un rire triste, avant de s'avachir un peu plus sur le bar.

— Parce que je suis stupide, je suppose... murmura-t-il, le sourire aux lèvres, son regard traversant son verre sans le voir.

— On dirait que tu as eu une sale journée.

Il se recroquevilla sur lui-même et hocha la tête sans laisser voir son visage. Il avait l'air complètement démuni, noyé dans un mélange de désespoir et d'indifférence, et j'eus l'impression de me revoir quelques mois plus tôt. Habituellement, je serais poliment resté à l'écart, ou j'aurais attendu que la personne en face de moi se décide à parler, mais là, je ne parvins pas à feindre l'indifférence.

Stray catOù les histoires vivent. Découvrez maintenant