La journée s'était écoulée avec une lenteur poisseuse. Torturé de questions, j'avais été si peu attentif aux cours que Laurent, mon binôme, avait été obligé de me secouer pour me tirer de mes rêveries. À la pause, je lui avais raconté brièvement la soirée passée, sans trop entrer dans les détails. Il avait compris à demi-mot mes penchants qui ne lui faisaient ni chaud ni froid.
En revanche, quand je lui avais dit que je l'avais hébergé, il m'avait fait remarquer que j'étais inconscient d'avoir amené un inconnu chez moi. Il aurait aussi bien pu me voler mes affaires et disparaître pour toujours. Je lui avais fait remarquer que vu son état, c'était peu probable. D'ailleurs, ça n'avait pas été le cas : seul lui et son sac de voyage avaient disparu.
Cela avait suffi à me rendre mélancolique tout au long de la journée qui me sembla interminable.
Ironie du sort, après avoir passé des heures à attendre que mes cours à la fac se terminent, j'avais fini par sortir en retard pour le travail. Je savais que Romain ne m'en tiendrait pas rigueur, mais je dévalai quand même en courant la rue qui menait au bar avant de pousser la porte, essoufflé.
— Alors Matt ! m'apostropha-t-il en remarquant que je portais encore ma blouse. Tu sors du labo ?
— Je suis désolé, le TP a duré plus longtemps que prévu, le prof ne voulait pas nous lâcher, bredouillai-je en laissant tomber de mes épaules mon manteau et mon sac à dos en même temps. J'ai fait de mon mieux...
— T'inquiète, je comprends, fit le barbu. Va te changer qu'on se mette au travail.
— Oui.
Je hochai la tête, remontai mes lunettes sur mon nez et filai vers l'arrière-boutique avant de me figer et de me retourner vers lui.
— Au fait, félicitations pour la naissance de Claire !
— Tu me l'as déjà dit ce matin au téléphone.
— Oui, mais je le redis !
— Merci, Matt. Allez, file, on va bientôt ouvrir !
Déboutonnant ma blouse blanche à la hâte, je croisai mon regard dans la glace et me mordis la joue, agacé de sentir ce souvenir ressurgir. Bien sûr, ce n'était qu'un inconnu, je ne pouvais pas dire que j'étais amoureux... mais après la soirée passée, j'espérais plus qu'une disparition pure et simple de sa part.
Avait-t-il eu honte de son comportement ? C'est vrai qu'il avait beaucoup bu, il s'était peut-être senti dépassé par ce qu'il avait fait... Le souvenir du contact de sa main contre mon entrejambe m'amena une violente bouffée de chaleur. Ce n'était pas un geste anodin. Est-ce qu'il se mordait les doigts d'avoir été trop spontané, ou de s'être abaissé à me faire des avances ? En voyant dans mon reflet un visage rougi par l'effort, piqué de restes d'acné, avec des cheveux rebelles et une tentative de bouc trop clairsemée, il me paraissait évident que c'était la deuxième option. Je n'étais pas beau. Je n'étais même pas spécialement intéressant. Je tâchai de chasser de ma tête cette idée démoralisante en attrapant ma chemise.
Une fois changé, je passai hâtivement ma main dans mes cheveux pour les peigner en arrière et refaire mon catogan. Un dernier coup d'œil au miroir me confirma qu'à défaut d'être élégant, j'étais redevenu présentable. Je fourrai mon sac et mon manteau roulé en boule dans le casier et revins au bar, prêt à servir.
— Au fait... fit Romain, tu as oublié un truc hier.
— Mince, j'ai fait une connerie ? bredouillai-je. Pourtant, on a tout vérifié, la caisse, l'arrière-boutique, tout fermer...
— Non, vous avez été impeccables tous les deux, surtout que je vous ai laissés assez précipitamment. Les comptes tombent juste, rien ne manque à l'appel... En fait, c'est plutôt un truc en plus, ajouta-t-il avec un sourire en désignant une forme sombre.
Mon cœur rata un battement quand je reconnus l'étui à guitare. C'était celui de Sacha. Je le revis le poser contre le bar au début de la soirée, et plaquai la main sur mon visage. Ça m'était totalement sorti de la tête.
— Mince, il a oublié sa guitare !
— Tu vois qui c'est ?
— Oui, répondis-je en rougissant.
— J'appelle les objets trouvés ?
— Non, gardons-la ! m'exclamai-je. Il reviendra ! Enfin... j'en suis presque sûr...
Je ne pouvais pas dire à quel point la vue de l'objet avait remué chez moi un mélange de joie et d'appréhension. Vu la valeur de l'instrument, il était obligé de revenir le chercher. J'allais le revoir. Peut-être. Si j'avais la chance de travailler ce jour-là. S'il acceptait de m'adresser la parole.
La porte s'ouvrit, laissant passer les premiers clients, et je me dirigeai vers eux pour les servir, l'esprit envahi par la perspective de le revoir et l'appréhension qui allait avec.
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Stray cat
Roman d'amourTout a commencé avec un cocktail, des yeux trop grands et une guitare oubliée. Pour Matt, serveur dans un bar pour payer ses études, cette rencontre est le début d'une relation bouleversante... Stray Cat est une tranche de vie yaoi à l'ambiance méla...