De retour d'Hécatombe 1/2

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C'est animé par son très grand entendement que sa majesté Enguerid, roi de Sargonne et du Thésan, a jugé de conserver la mémoire des choses passées afin qu'elles arrivent à la connaissance des hommes à venir.

J'ai le dessein, de calculer le nombre des années qui se sont écoulées depuis les débuts de l'émergence de la civilisation jusqu'à nos jours. Nous le ferons plus aisément en commençant par la formidable force civilisatrice que Karistoplatès, le seigneur des dieux et de la guerre, déversa sur le monde et qui constitue l'an un de notre ère.

Sur Endéval vivaient des êtres parfaitement beaux, forts et avancés. Karistoplatès, le seigneur de l'île, observait les hommes du continent depuis fort longtemps. Il s'était pris de curiosité pour cette espèce chétive lorsque, mille ans auparavant, il constata avec étonnement qu'elle avait mis fin aux siècles obscurs à la seule force de son ingéniosité. Mais au fil du millénaire qui suivit le bannissement des créatures antiques derrière la chaîne de Rocnoire, il vit l'homme se munir de technologies qu'il continuait à manier avec un esprit barbare. Alors, encouragé par les conseils de son vieil ami Mudry Volga, seigneur de la sagesse, il s'attribua le rôle de civilisateur et commença par le Thésan. Ils n'avaient alors aucune arrière-pensée, il avait juste pris en pitié une espèce d'être vivant particulièrement faible, fragile et stupide.

Il s'entoura également de Näaria, domina des soigneurs et de Malvrick, seigneur des forgerons, qu'il considérait de la même essence que lui. Ces êtres, bien qu'ammortels, n'étaient pas indestructibles, mais ils n'avaient rien à craindre des humains qui face à leur toute-puissance faisaient figure d'insectes. C'est à cette époque et même si Näaria était en fait une femme, qu'ils furent tous quatre surnommés "hommes-dieux". Avec leur aide, Katstoplatès créa et imposa un code de lois aussi simple qu'intraitable.

Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne


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Une longue procession de cavaliers sortait du bois des Frontrois et abordaient la vaste plaine qui entourait la capitale du royaume de Sargonne. Les derniers arbres passés, plus rien ne venait masquer la vue. Le plat pays s'étendait jusqu'aux frontières de l'Exinie à l'ouest, de l'Ugreterre au nord-ouest, du Grandval à l'est et de l'Othryst au sud-est. Néanmoins, seul au milieu du paysage, se tenait le mont Carcandre, la colline devenue cubique par un siècle de travaux acharnés. C'est là, au-dessus de ce point hautement stratégique, que trônait lourdement la cité royale de Cubéria. Elle était vaste et couvrait une large superficie. Mais à cette distance, la quantité considérable de roche ayant servi à élever ses remparts, lui conférait un aspect compact. Elle écrasait le paysage de sa masse grise. Immanquable et toujours impressionnant, le colossal pont escalier menant à la ville fortifiée était visible de loin.

La troupe qui progressait dans sa direction était prestigieuse. Elle revenait de l'Hécatombe, la chasse donnée annuellement par le roi afin de consolider l'union des différentes régions du royaume. Parmi les invités se trouvaient les souverains des sept comtés de Sargonne, le maître des officiants, divers barons qui s'étaient distingués au cours de l'année et bien entendu les écuyers nécessaires à la logistique. À l'arrière, des chevaux tiraient de lourdes charrettes. Certaines étaient remplies du matériel nécessaire aux trois jours de chasse. D'autres rapportaient leur prolifique butin. Quatre carrioles débordaient de cadavres. Des perdrix, des sangliers, des marcassins, un renard et une meute de loups qui étaient passés par là, douze cervidés et sept ours. Mais la prise la plus impressionnante était sans contexte le corps sans vie d'un gigantesque albanélaphe, le grand cerf blanc, seigneur de la forêt, tué par le roi lui-même. Il prenait une charrette à lui seul et deux chevaux étaient nécessaires pour tirer l'importante charge qu'il représentait. Ses bois à la formidable envergure avaient dû être coupés pour pouvoir charger l'animal et avaient été déposés sur sa dépouille qui gigotait au rythme des imperfections du sol.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant