Tournoi 4/4

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Chunsène revint avec des cornes à boire desquels débordait une mousse abondante. Elle s'installa avec les deux compagnons et ils trinquèrent avant d'avaler une longue gorgée.

— Zythia soit bénie pour ses bienfaits ! lança Izba.

— Quelle est l'histoire de tous ces dieux que vous n'arrêtez pas de citer ? demanda Ménéryl, ils sont très différents de ce que j'ai connu sur mon île.

— Ce sont les seuls vrais dieux ! La véritable histoire de notre terre, répondit Izba en s'essuyant la bouche du revers de la main.

Chunsène sourit et dit :

— Contrairement aux personnes vivant sur le continent, ils ne croient pas que les hommes-dieux aient été des dieux.

— Exactement et cela veut dire qu'ils sont un grand nombre à se tromper, la taquina le Nohyxois.

Chunsène lui lança un regarde faussement offensé et expliqua :

— Leur croyance est très riche et explique beaucoup de choses sur leur façon de vivre.

— Racontez-moi, répliqua Ménéryl impatient.

— Pour eux, au commencement, il n'y avait qu'un océan de ténèbres dans lequel flottaient des corps éteints. Parmi eux, l'un était puissant et l'autre fécond, mais ils l'ignoraient et restaient désespérément inertes. Après une éternité d'errance, ils finirent par se croiser et s'attirer. À ce moment, le puissant pris d'un brûlant désir s'alluma. Il devint masculin et se nomma Soleil. Son énergie commença à rayonner et à envelopper le fécond d'une douce chaleur. De son corps commença à jaillir la vie, il devint féminin et s'appela Maïa, celle qui engendre. Mais la lumière brûlante fit prendre conscience aux ténèbres qu'ils étaient noirs et froids. Ainsi naquit Dofros, il était l'être asexué, il était le néant. Dofros n'aimait pas la lumière et la vie qu'elle avait enfantée. Alors, pour faire mourir le Soleil de chagrin, il lui disputa Maïa. De leur combat naquirent le jour et la nuit qui encerclèrent la malheureuse. Celle qui engendre savait maintenant qu'elle était fertile et ce n'est pas quelque chose qu'elle pouvait contrôler. Des ténèbres de Dofros, elle donna naissance à des êtres monstrueux. Chaque nuit, l'existence telle que nous la connaissons était en danger, car ces créatures devenaient plus puissantes. En ces temps de désespoir, le Soleil et Maïa enfantèrent Nohyx la lune bleue et Hémé la lune rouge. L'énergie de leur venue au monde fut si formidable, qu'elle projeta au firmament des millions d'étoiles et leurs lumières atténuèrent l'ombre de Dofros, apportant protection aux enfants du jour.

— Cela se tient, répondit Ménéryl en hochant la tête, ça semble tout à fait possible.

— Évidemment puisque c'est ce qu'il s'est passé, intervint Izba.

Chunsène souriait, Izba se dressait fièrement, Ménéryl réfléchissait.

— Mais qui a gagné ? demanda le jeune homme.

— Personne, répondit Izba, leur combat continu aux enfers de Pentanos. Nos morts rejoignent les armées du dieu soleil pour l'aider dans sa lutte. Il y a cinq classes de combattant réparties dans cinq enfers. Le Saoghail Bonis, l'enfer des braves où vont les guerriers les plus héroïques. Ils deviennent immortels et sont dotés d'une armure et d'un cheval fabuleux. L'enfer des bons, où vont les guerriers de talent. Ils restent mortels et reviennent sur terre s'il meurt pour tenter de devenir héroïque. Mais ils sont tout de même dotés d'une armure et d'un cheval ordinaires pour les aider dans leur lutte. Il y a ensuite l'enfer des corrects et celui des piètres. Là aussi ils sont mortels, mais dans le premier ils ne sont dotés que d'une armure et dans le second ils n'ont rien. Après tout, mieux vaut qu'ils retournent vite sur terre pour s'améliorer. Quand au dernier, le Saoghail Mala, il s'agit de l'enfer souterrain des lâches. Les pleutres qui se retrouvent là deviennent également immortels, mais ils sont condamnés à une éternité d'esclavagisme au service des combattants.

— Effectivement cela explique bien des choses, concéda Ménéryl en se grattant le menton. Mais vous ? Quel rapport avec les lunes ?

Izba feignit l'outrage, puis expliqua en prenant un ton magistral :

— Il était un démon nommé Bucental. C'était le roi de ceux de sa race. Chaque nuit, accompagné de sa troupe, il se livrait à la razzia et aux meurtres sur la Dacéana. Une nuit, une puissante druidesse nommée Dacéane s'engagea dans la lutte. Mais le combat fut inégal, Bucental étant d'essence quasi divine. Pour préserver sa vie, elle lui lança un puissant sortilège de séduction, car si la force lui faisait défaut, ses charmes étaient redoutables. Elle dut subir jusqu'au lever du soleil les assauts enflammés de la bête. De son sacrifice naquit un fils qui fut nommé Macdiar. Sa vie ne fut qu'un long entraînement le préparant au combat contre son père. Il était la vengeance faite chair du peuple ravagé de Dacéana. Une nuit, alors qu'il avait anéanti toute l'armée de Bucental, eut lieu le combat ultime dont Macdiar sorti vainqueur. Il prit alors de nombreuses femmes et repeupla l'île ; la lignée des Macdiés fut ainsi générée. Mais Nohyx et Hémé, charmées par sa puissance et sa virilité, une nuit se firent femmes et partagèrent sa couche. De leurs unions naquirent les lignées des Héméiens et des Nohyxois.

— Pour sûr, voilà un vrai héros ! s'écria Ménéryl.

— Le seul et unique ! répliqua Izba en se tapant sur le torse.

Chunsène les regardait s'extasier de récits héroïques avec un amusement maternel. La porte de la maison s'ouvrit. Orphith entra et tous se levèrent pour l'accueillir chaleureusement. Son attitude était monotone et préoccupée, à l'opposée de la réception qui lui était faite.

— Pourquoi une mine si sombre mon doux époux ? s'inquiéta Chunsène.

— C'est Yarkiyanos, il est dans un état grave, je l'ai sauvé de justesse. Son combat avec Domoïos a failli le tuer.

— Il n'a pas reçu de coup d'épée, s'étonna Ménéryl.

— Oui, mais son crâne a été fendu par le coup qu'il a reçu sur la tête. J'ai dû également lui ouvrir le ventre, certains organes avaient éclaté. Domoïos a vraiment frappé de toutes ses forces. Le malheureux ne pourra plus jamais combattre. Tous se retournèrent vers le Nohyxois qui avait recommencé à boire calmement.

— Izba !

Le ton d'Orphith était sec et trahissait une inquiétude profonde.

— Domoïos n'est pas à prendre à la légère, Yarkiyanos faisait partie des guerriers de renom, regarde ce qu'il reste de lui. Il ne pense qu'à la victoire et ne mesure pas sa force. En plus, tu es un Nohyxois, tu as battu bon nombre de ses congénères, il voudra faire un exemple.

Les yeux plongés dans sa corne, comme s'il ne voulait pas croiser le regard d'Orphith, Izba répondit :

— Tu crois que je ne sais pas tout cela ? Tu crois que j'ai le choix ? Si je ne peux gagner ce tournoi, j'aime autant mourir, l'abandon serait bien plus atroce que la blessure la plus profonde.

Puis relevant les yeux il ajouta d'un ton plus solennel :

— Orphith, je te demande de me comprendre et de ne pas tenter de me faire changer d'avis. Si je ne gagne pas ce tournoi, je ne pourrais plus avancer sur la voie qui est la mienne. Il n'y aura plus d'horizon, ma vie sera devenue inutile.

Orphith, au fond de lui, savait que le Nohyxois avait raison. Bien que leurs tourments furent grands, ni lui ni Chunsène n'insistèrent. Ménéryl quant à lui, et il espérait qu'il se trompait, avait eu l'impression d'entendre le discours d'un homme sur le point de se sacrifier.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant