Chaos 2/2

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Soudain, il se réveilla. Avait-il dormi longtemps ou bien un court instant ? Cette question s'arrêta net ! Une ombre était penchée sur lui et le fixait. Surpris, il voulut lui sauter au cou et enfoncer ses pouces dans sa gorge ! Une fois en position de force il chercherait des réponses. Mais il n'en fit rien... Ses membres refusaient de bouger. La silhouette, enveloppée dans un drap sombre maculé de trous semblait flotter dans les airs. Une aura blanchâtre l'entourait. De sa présence émanait une odeur de pourriture aigre qui prenait à l'estomac. L'atmosphère de la grotte s'était chargée d'une atroce puanteur de charogne. Les bruits du magma et le murmure du vent dans les tunnels avaient disparu. Un silence de plomb s'était installé. Ménéryl se rendit compte qu'il avait froid et nonobstant la fournaise environnante, il grelottait. Quelle pitié, quel sentiment d'impuissance que de sentir trembler ce corps dont il n'avait plus le contrôle. D'un mouvement fluide, l'apparition approcha son visage du sien, lui dévoilant une face sinistre.

Elle n'était plus qu'un squelette à l'ossature dense et sur lequel subsistaient des plaques de chair glueuses. Des arcades sourcilières particulièrement proéminentes, ombraient une cavité orbitaire béante et un oeil sans paupières qui s'agitait. La lèvre supérieure était le dernier vestige de sa bouche. Une lèvre épaisse, gercée, d'un blanc macabre qui tremblotait frénétiquement.

Le jeune hommes, suffoqué par la stupeur, ne pu prononcer un mot. Paradoxalement, ce n'est pas la peur qui s'animait dans son esprit, mais une violente colère qui bouillonnait. L'impotence à laquelle il était réduit le contrariait bien plus, que le sentiment d'un trépas imminent. L'oeil se fixa sur lui. La mâchoire inférieure de l'être se mit à remuer, entraînée par les contraction des muscles qui la maintenait au reste de son crâne. Un souffle fétide sortit de sa bouche et dans une expriration rauque il prononça

- Diss-ssoss-cié, che ss-suis diss-ssoss-cié, le lien est rompu.

La voix sortait du fond de la gorge, comme une agonie, les mots sifflaient entre ses dents noires et éparses. À chacune de ses paroles, sa lèvre unique se tordait, cherchant sans y parvenir une articulation rendue impossible par la lippe manquante. Ménéryl dut lutter contre la nausée, il ne pouvait pas reculer et le dégoût que lui inspirait l'apparition se transforma en une haine prodigieuse qui ne pouvait éclater. Il fixa intensément la répugnante créature comme si ses yeux eurent pu la détruire.

- V-v-vous êt' qui ?! bégaya t-il

Ne répondant pas tout de suite, le spectre tourna doucement sa tête de chaque côté, comme pour vérifier qu'ils étaient bien seuls. Puis, à la manière de celui qui craint d'être écouté, il lui répondit en chuchotant :

- Che n'ai pas de nom, car on ne m'en a pas donné... Chai erré... Abondamment... Dans un abîme lumineux. Maudite lumière ! ss-sale ! dévorante ! il n'y avait ni ss-senss, ni direcss-tion... Votre ombre éclatante m'a guidé.

Voyant que Ménéryl était resté coi, l'entité se rapprocha un peu plus. Sur sa face, des morceaux de viande se balancèrent mollement. Il reprit plus bas encore, muant sa voix un chuchotement ténu.

- Che ss-suis l'idée, la volonté, l'obsess-ssion rémanente iss-ssue du s-sacrifice d'un ss-seul et de tous-ss. Les ess-sprits dans lesquels elle naquit ont auchourd'hui tous-ss diss-sparus mais che perss-siste moi. Che ss-suis votre ombre, votre inconss-scient et ss-celui de dix mille hommes également. Che ss-suis l'absolu, l'énergie qui bâtit des temples et crée des royaumes.

À nouveau, le silence s'installa, rythmé par le sifflement de l'air expiré par ses fosses nasales. Ce détail interpella Ménéryl qui n'avait jamais entendu parler d'idée qui respire. Pour le reste et bien que n'en laissant rien paraître, il n'avait pas compris un traître mot de cette tirade. L'être continuait de le scruter avec insistance. Les débris de muscles constituant son visage se contractèrent en une mimique que le jeune homme interpréta comme un sourire. L'effet de surprise s'était estompé et Ménéryl qui ne ressentait pas de danger articula plus facilement :

Mémoires du Monde d'Omne Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant