Un foyer 1/3

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C'est au second mois de l'an huit cent trente-neuf, que le roi de Sargonne consentit à un sacrifice bien plus grand que ceux accordés aux Gildwin.

Alors que les neiges étaient encore tenaces, il envoya Éralid et sa femme à Trimont, accompagnés d'une escouade de ses meilleurs gardes et d'un impressionnant cadeau diplomatique. Dépêcher le prétendant au trône en mission de fraternisation se voulait être un symbole fort. Mais les richesses qui accompagnaient la chair de sa chair l'étaient tout autant. De l'or, des objets finement ouvragés par de grands maîtres-artisans, des soieries d'Argène, une pierre d'Anubie et même une épée en argent remontant à l'Ère des vouivres. Cette dernière, fleuron de l'artisanat guerrier alfar, un ancien peuple du Thésan aujourd'hui disparu, était un trésor familial transmis de génération en génération de Gargandra. Cette profusion afin, disait la missive qui l'accompagnait, de porter un message de paix, de bienveillance et conforter les liens fraternels qui unissaient Klausdraken et Gargandra.

L'impressionnante démonstration alliée à l'ardente inimitié qui rongeait les royaumes ennemis engendra craintes et soupçons.

En Exinie, ces largesses excessives furent perçues comme un geste d'apaisement à la méfiance hostile des Klausdraken. Un acte insensé dicté par la peur.

En Ugreterre, la logique du roi Yder fut plus complexe. Il vit derrière cette conduite la volonté des Gildwin qui, manipulant Yvanion, cherchaient à gagner du temps pour organiser la conquête que leur prépondérance nouvellement acquises allait leur dicter.

Une fois encore, le légitime descendant des Gargandra parut aux yeux de tous comme un égarement de cette admirable lignée.

Pourtant, à la surprise de tous, à l'achèvement du troisième mois de l'année huit cent trente-neuf, moult soldats descendirent des collines environnant le village de Bordes en Ugreterre. Ils dévastèrent ses champs livrèrent les maisons aux flammes et n'épargnèrent ni les habitants, ni les troupeaux.

Ce fut fait au grand jour, par une troupe portant distinctement les couleurs de Sargonne.

Dès lors que la nouvelle fût parvenue à Trimont, le roi Yder fit aussitôt mettre Eralid et Azélaïs aux fers pour trahison. L'Ugreterre saurait tirer avantages de cette situation qui, dans un proche avenir, lui permettrait d'infléchir la détermination, aussi ardente soit-elle, de ses deux voisins. Yder possédait une pièce maîtresse dans les événements qui allaient se jouer, mais c'était bien là ce qu'Yvanion souhaitait.

Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne



***


Ménéryl fixait la charpente d'un toit en chaume, éclairé par la lumière vacillante d'une flamme. Il émergeait avec difficulté, sa vision était brumeuse, sa tête lui faisait mal, mais il revenait apparemment à la vie. Sur sa gauche, une paroi en bauge à laquelle sa couche était accolée. Il était allongé sur un matelas en peaux de bête et quelqu'un avait pris soin de poser sur lui une couverture en laine. Il souleva lentement sa main, elle lui parut terriblement lourde, puis la passa sur son corps. Il était nu. Il la fit remonter en direction de son cou et constata que son précieux pendentif était toujours là.

Autour de lui, l'atmosphère était chargée d'une fumée au parfum particulier dans laquelle se mêlaient des senteurs de nourriture et de plantes officinales ; il entendait le bruit d'un feu qui crépitait accompagné d'une voix féminine qui fredonnait un air lénifiant. Tournant discrètement les yeux vers sa droite, il vit qu'il se trouvait dans une grande pièce encombrée d'étagères sur lesquels étaient stockés des récipients en terre cuite, des mortiers, des herbes séchées ainsi qu'une multitude de petits instruments en métal dont certains semblaient très coupant. Des sceaux, des outres, des fagots de bois s'accumulaient, mais avaient été disposés contre les murs afin de donner un semblant d'ordre. Sur un côté se trouvaient une table massive et des tabourets dont les bords s'étaient arrondis à force d'utilisation. Non loin, au centre de la pièce, un chaudron pendait au-dessus d'un foyer aux braises rouge vif. À côté, une dame y préparait une mixture qu'elle remuait à l'aide d'une grande spatule en bois.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant