Kadar 2/3

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Ménéryl s'assit, mais Orphith avait commencé à examiner la bouche de son patient et il dut attendre que le vieillard retrouve la faculté de parler. Une fois son précieux organe à nouveau disponible, l'ancien guerrier commença :

— Et bien ! En l'an neuf cent soixante-seize, s'abattit sur le Thésan le fléau nommé Sylla Kahan, le synarchéin de Xamarcas.

— Il ne le connaît pas, intervint l'homme de science en sortant mortier et un pilon de son sac. Kadar siffla puis s'exclama comme impressionné :

— Bon sang ! elle devait vraiment pas être toute proche ton île, petit.

— Disons cela comme ça, répondit Ménéryl le regard lointain.

— Bien, bien, bien ! Alors, sache qu'un synarchéin est à Xamarcas une sorte de bras droit du grand Morshaka. Cela fait de lui le second personnage le plus important du royaume souterrain.

— En résumé, c'est une sorte de titre, précisa Ménéryl.

— Et il est perspicace en plus, le taquina Kadar en souriant. J'étais général dans les armées de Sargonne lorsque le synarchéin envahit le Thésan.

— Mais il n'y avait pas déjà une guerre entre les hommes-dieux ?

— Qui t'as encore raconté ça ? interrogea Kadar les yeux tournés vers Orphith. Haaaaa! il raconte mal, il raconte mal et après il faut tout corriger. La guerre entre les hommes-dieux c'est achevée il y a trois siècles par un traité de paix. En réalité c'était plutôt un pacte de non agression. Seulement les puissances en place étaient tellement équivalentes que ce pacte n'a pas été rompu pendant pratiquement tout ce temps. C'est ce Sylla Kahan qui à tout déséquilibré.

— Il a réussi à ébranler une paix de trois siècles ? Quel genre d'homme était-ce?

— Hoooo ! C'était un sale bonhomme, du genre que la mort ne bouleversait pas, son histoire n'est faite que de massacres et d'abominations. La dynastie des Kahan a depuis toujours engendré des êtres puissants qui furent systématiquement nommés synarchéins. Mais ce Sylla, même le grand Morshaka semblait le redouter. En tout cas, le fait est que lorsqu'il voulut cesser de jouer les bras droits, le seigneur de Xamarcas évita le conflit direct. Sylla voulait son propre royaume, il jeta son dévolu sur le Thésan et Morshaka ne fit rien pour l'en empêcher.

— Et à ce moment-là, cela était plutôt une bonne décision, intervint Orphith qui écoutait d'une oreille tout en préparant ses mixtures.

— Oui cela n'était effectivement pas farfelu comme choix. Mais bref. Sylla, accompagné de xamarquimes lui ayant prêtés allégeance, débarqua sur le continent et il commença par Vermillac. Cette cité depuis des siècles était considérée comme imprenable, mais le synarchéin nous apprit qu'elle pouvait tomber en moins d'une semaine. Tu imagines le jeune ? La stupeur à Sargonne. Vermillac n'est qu'à douze jours de marche forcée de Cubéria, il n'y a aucune frontière naturelle pour la protéger. La situation était complexe, car le Roi Thibérion deuxième du nom venait de mourir de dysenterie après seulement trois ans de règne. Son fils Caribéris, actuel roi de Sargonne, n'avait alors que douze ans. La régence fut prise par sa mère, la reine Véra est, étant donné les circonstances, on peut dire qu'elle réussit à faire preuve de clairvoyance. Elle avait présagé que Sylla se détournerait de l'Ugreterre qui était sous la protection d'Endéval. Cela faisait de nous la seule ambition possible du synarchéin. Elle fit donc appeler le Commodore et le chargea de concentrer la défense sur le royaume de Sargonne uniquement. Celui-ci réquisitionna la garde noire et fit appeler la Fraternité des sept prodigieux héros du Thésan. Je fus chargé, en tant que Général, d'assurer la défense de la frontière qui donne sur le pays du Haut-Exin. C'était le chemin le plus court pour se rendre de Vermillac à Cubéria, ma responsabilité était grande. Les premiers mois furent animés non par la guerre, mais par la construction et le terrassement. J'avais du temps devant moi alors je fis bâtir des tours, des palissades en bois, je fis creuser également des fossés et poser des chausse-trappes. J'espérais ainsi les limiter dans leurs mouvements afin que mes archers en tuent un maximum avant le corps à corps. Puis vint l'attente, l'ennemi ne venait pas. Dans tous les éloges aux héros ou aux victoires on ne parle jamais de l'attente. Pourtant elle représente la majeure partie d'un conflit, les combats eux sont très rapides. Dans notre cas, cela dura des semaines, au milieu d'une plaine sans ombre, par un été particulièrement chaud. Puis un jour, nous constatâmes que Véra ne s'était point trompée. La plaine se couvrit de soldats. Toute la journée, un flot ininterrompu de guerriers vint grossir les rangs et au crépuscule, ils attaquèrent.

Mémoires du Monde d'Omne Tome IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant