Le Seigneur d'Endéval était juste, mais exigeant et inflexible. En ces temps, l'imperfection de l'esprit humain en nourrit rancoeur et ressentiment. Karistoplatès avait permis de réels progrès civilisationnels, mais son absolutisme était mal vécu. Ainsi, lorsque Morshaka s'opposa à lui, le seigneur de Xamarcas eut de nombreux soutiens malgré sa nature maléfique et la peur qu'il insufflait. En peu de temps, la force démesurée des deux tout-puissants seigneurs fit dégénérer leur rivalité, il voulait tous deux devenirs le dieu unique. Les êtres humains les craignaient et le continent se divisa en deux approches ésotériques essentiellement basées sur la proximité géographique d'Endéval ou de Xamarcas.
Il s'était passé deux cent onze ans depuis le début de la conversion civilisatrice de Karistoplatès, lorsqu'une longue lutte de positions entraîna le Thésan dans les vicissitudes de la guerre. Ce fut le début de temps cruels, marqués par les calamités. L'assassinat, la maladie, la famine y régnaient. La mère choisissait lequel de ses rejetons nourrir, le frère veillait le parent condamné, le père enterrait l'enfant. Un conflit absurde, dans laquelle les hommes n'avaient aucun intérêt propre. Le continent vivait dans une tension perpétuelle et l'ouest, situé aux abords des deux puissantes îles, paya le plus lourd tribut. C'est au milieu de cette époque que naquirent les royaumes d'Ugreterre et d'Exinie ainsi que l'origine de leur animosité. La guerre dura cinq siècles et ne s'acheva qu'en l'an sept cent six grâce à l'habileté de Mudry Volga le subtil. S'étant consulté avec ses divins alliés, il partit pour aller trouver le seigneur Morshaka et lui dit : "faites la paix avec nous. Le Monde d'Omne est bien assez grand pour que nous y puissions vivre côte à côte et nos forces bien trop semblables pour que la guerre ne nous entraîne vers autre chose que l'annihilation". Il fut reçu avec bienveillance et obtint la paix.
Dans les années qui suivirent, les villes fauchées par la discorde resortirent comme de terre, mais pour l'Ugreterre et l'Exinie, l'amertume s'était transformée en colère, puis la colère en haine. Leur détestation avait engendré répugnance et cruauté.
Gaïl le Vénérable, Mémoires du Monde d'Omne
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- Désastreux ! Le mot s'échappa comme un murmure à lui-même, passant entre ses dents serrées. Accoudé aux créneaux surplombants les puissantes murailles de Vermillac, Gui Gildwin, prince héritier de la couronne d'Exinie, contemplait le paysage dont la beauté fut autrefois chantée à travers tout le royaume.
La citadelle rouge de Vermillac était perchée sur une haute falaise, à la frontière visuelle entre les vertes prairies de la province et le bleu de l'océan. Côté terre, le bas des remparts donnait sur une pente abrupte qui se redressait lentement en pente douce jusqu'à s'aplatir à perte de vue. Du haut de sa tour, aussi loin que son regard pouvait porter, Gui ne voyait qu'un tapis luxuriant d'herbes épaisses parsemé de fougères, de plantains et de cransons. Mais à une demi-lieue de là, s'ouvrait un cratère large de mille pieds. Comme une balafre béante faite à la terre elle-même, il attirait l'œil invariablement. Cette crevasse était le vestige de la prodigieuse explosion qui avait mis fin à la Grande Guerre voilà vingt ans maintenant. Comme mort, le sol y avait pris une teinte gris pâle et aucune végétation n'y avait jamais repoussé.
Le prince maudissait ce jour où, tel un immense geyser brun, la terre s'était soulevée dans un grondement d'apocalypse. Le traumatisme était encore vivace et la sensation aigre de la terreur remontait chaque fois qu'il posait son regard sur ce trou. Une haine brûlante l'envahit, elle était sa plus proche compagne et le consumait depuis son plus jeune âge. Cette rancœur serait la pierre angulaire de son règne et, il n'en doutait pas, ferait de lui le plus grand monarque que le monde ait porté.
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Mémoires du Monde d'Omne Tome I
FantasyL'Omne. Vaste continent entouré de l'Orbia : l'anneau aux milliers d'îles. C'était la fin d'une époque, celle de la chute des hommes dieux. Les royaumes finissaient à peine de panser les plaies de la Grande Guerre que déjà, partout, les convoitises...