Amarok - Chapitre 5

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La réserve de Noatak avait toujours été un abri, un refuge sûr, presque une seconde maison pour lui. En cet instant, elle était plus que ça. C'était une alliée. Tout semblait le guider vers sa cible. Les parfums, qui d'ordinaire se mêlaient par dizaines, s'effaçaient pour ne laisser que celui qu'il traquait. Il n'y avait plus aucun bruit autre que celui de ses pattes légères et son souffle court à la poursuite de celui, erratique, du cœur humain qu'il entendait battre comme un tocsin à ses oreilles sensibles.

Il trouva l'homme après une longue course qui le laissa haletant mais les muscles chauffés, déliés, souples et prêts pour la mise à mort. Il était tellement concentré sur cette empreinte olfactive d'alcool, de crasse, de colère et de peur, qu'il rejetait toutes les autres. Y compris celle de Stiles.

Lorsque leurs regards se croisèrent l'esprit de Derek eut un sursaut de conscience derrière celui du loup, plus primaire, mais il s'estompa très vite. Sa mémoire ancestrale tenta de le faire reculer, de lui faire prendre la fuite quand l'homme acculé braqua son fusil sur lui. Il combattit ce réflexe animal et bondit en poussant un aboiement qui claqua comme une sentence. La forêt fit silence tout autour d'eux.

La bête atterrit sur le torse du chasseur qui s'écroula en arrière. Le canon du fusil pointé vers le ciel laissa échapper une détonation assourdissante qui étourdit l'animal et le força à se tasser, les oreilles plaquées sur le crâne. Néanmoins, là encore il ignora tous les signaux d'alerte et attaqua.

Il fut rapide et efficace, comme tous les prédateurs. L'homme n'était vêtu que d'un tee-shirt ample. Sa gorge n'était absolument pas protégée. Si elle l'avait été, même d'une simple écharpe comme en hiver, peut-être aurait-il eu un peu plus de chance.

Les crocs du loup percèrent la carotide du premier coup. Le sang jaillit sur sa langue alors qu'il exerçait une pression mortelle sur la gorge de sa proie qui se mit à brailler avec désespoir. Sans aucun résultat, évidemment. L'homme se débattit, rua, tenta de repousser la bête mais ses forces le quittèrent rapidement. Il arrêta vite de bouger. De respirer. De vivre.

Cependant, son assaillant ne le relâcha pas immédiatement. Il continua de mordre puissamment jusqu'à ce que le sang cesse presque totalement de couler. Puis il redressa la tête, langue pendante, pour reprendre son souffle. Un filet de bave rougeâtre dégoulinait de ses babines. Son regard d'un bleu irréel accrocha la silhouette d'une autre proie qui le regardait sans bouger, sans même faire un geste pour se défendre ou fuir. Excité par le goût métallique de la vie et de la mort, le loup se ramassa sur lui-même, prêt à attaquer à nouveau, grondant et menaçant.

Le nouvel arrivant émit un son étrange que ses oreilles captèrent sans que son esprit en comprenne le sens. Il s'avança, les muscles contractés quand, enfin, la bulle de sauvagerie qui l'emprisonnait éclata. Il entendit alors la voix de Stiles :

— C'est moi !

L'animal se figea tandis qu'une douleur aiguë commençait à pulser dans son crâne. Il reconnut ce visage, l'odeur de cette peau, de ce corps qu'il connaissait. Et l'éclat doux de ses yeux derrière la peur qui le tenaillait malgré lui. Tout à coup, Derek fut là dans le corps du loup et il comprenait les mots. Il savait aussi que Stiles n'avait qu'une chose à dire pour que la transformation s'opère et qu'il redevienne celui qu'il était. Tout comme Jolan l'avait fait, des années plus tôt.

Mais il ne voulait pas que cela arrive, il ne voulait pas que Stiles voie ça. Avec un grognement, le loup amorça un demi-tour et bondit pour s'éloigner. Il entendit toutefois le jeune homme s'écrier derrière lui :

— Derek !

L'étau de feu comprima sa colonne vertébrale et la bête se tordit en poussant un glapissement, tomba en pleine course puis roula sur la pente d'une petite bute. La douleur le fit se contorsionner si fort que ses os craquèrent et ses muscles se tendirent au maximum.

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