HERITAGE, Le Poison D'Aile De Dragon

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Appuyé contre un chaîne, le chasseur glisse doucement sa main droite derrière son dos sans me lâcher des yeux. Et comme à notre première rencontre, nous nous scrutons dans un silence tendu en ne faisant aucun geste brusque. Il porte les mêmes vêtements abîmés qu'hier en-dessous d'une épaisse veste militaire et son arcade est toujours ouverte malgré la coagulation du sang. J'aperçois également une broche en bronze épinglée sur la poche de sa poitrine, mais ne parviens pas à y distinguer le motif.

- Je vous ai cherché partout, m'avoue-t-il avec une pointe de colère dans la voix.

- J-je...

Aucun mot ne parvient à sortir de ma bouche, mes membres sont figés tandis que je me perds dans le gouffre sans fond qu'est son esprit. Happée par son regard ferme et intimidant, je n'arrive pas à me libérer de son emprise et laisse mon pouvoir prendre le contrôle de mon âme, faisant apparaître en moi un malaise glaçant. Noir, il fait noir. Froid, il fait froid. J'avance avec hésitation, peut-être aussi avec crainte, je ne sais pas où me diriger puisqu'il n'y a rien autour de moi. Rien, à part le vide. Mon cœur entame alors une course folle, je n'ai rien pour me retenir, rien pour me raccrocher et c'est en chute libre que mon esprit vagabonde en lui. L'homme n'a pas de pensées dans lesquelles je pourrais me cacher, il n'a pas non plus de souvenirs que je pourrais découvrir, comment puis-je m'échapper de son corps? C'est le néant... et c'est effrayant.

Lors de mes lectures, j'ai tendance à passer d'une information à une autre, comme lorsqu'on tourne la page d'un livre et une fois qu'un souvenir m'est apparu, je peux soit quitter mon hôte, soit poursuivre l'investigation, cela ne fonctionne jamais autrement. J'entre dans un corps, visite son esprit et ressort en quelques secondes. C'est généralement instinctif, mais pourquoi ne réussis-je pas à m'extirper de la tête du chasseur? Suis-je dans son corps ou dans son esprit? Si j'étais dans son corps, j'aurais conscience de la gravité, de ses muscles, du vent soufflant sur sa peau, je ressentirais la douleur de ses blessures, mais aussi ses émotions. Et ce n'est étrangement pas le cas. Son esprit est-il réellement vide? C'est impossible, comment pourrait-il parler, comment pourrait-il ne serait-ce que bouger?

Je suis complètement perdue.

- Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte du danger qui court dans cette forêt, me sermonne-t-il alors.

Cette voix caverneuse, c'est la sienne... Elle résonne tout autour de moi, en lui, elle siffle et caresse mon être. Tel un échos, elle répète successivement ces quelques mots, de plus en plus bas et de plus en plus méprisamment. Elle semble se vanter de sa liberté, elle me nargue, elle m'énerve. Je veux sortir. Je sors.

Inexplicable est l'expérience que je viens de vivre, je n'en suis pas certaine mais je pense que je me suis accrochée au son étrangement envoûtant qu'avait déclenché son intervention. Sa voix était ma bouée de sauvetage et l'impression d'être toujours fermement attachée à elle perturbe mes sens et ma concentration. Mes orteils gigottent normalement bien que mes membres soient encore figés, une bourrasque frissonnante s'abat sur moi de plein fouet, les rayons du Soleil traversant les branches des arbres environnants éclairent légèrement la mine renfrognée du chasseur et je peux observer sans trouble de la vision ses traits contractés ainsi que l'arme argentée qu'il pointe sur ma poitrine. Je suis dans mon corps, tout est normal.

Alors pourquoi est-ce que mon cœur bat si vite contre ma cage thoracique? Pourquoi est-ce que mon souffle est si court qu'on pourrait croire que je viens de courir un marathon? Pourquoi est-ce que je me sens si... fragile? Je n'aime pas cette sensation et je ne veux rien savoir d'elle, elle n'a pas sa place en moi. Fragile? Non, c'est seulement la lecture que je n'ai pas réussi à contrôler qui m'a effrayée sur le coup, c'est seulement mon inconscience vis-à-vis de l'étendu de mes capacités qui m'a fait perdre mes moyens.