Le chemin jusqu'à toi

Chapitre 108

Il me désigne une où on voit un jeune garçon d'à peine dix ans je dirais. Il est au sommet des marches, le regard tourné vers le contrebas, avec une expression de joie immense sur le visage. Il tire le bras de son père, essoufflé, qui franchit avec peine les dernières marches, les traits tirés par l'effort. Le contraste entre l'enfant et le parent est assez amusante en effet, et le rire de Mika contagieux me fait à mon tour sourire puis rire de bon cœur. 

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C'est donc en riant que nous continuons notre balade dans les rues escarpées du haut de cette colline célèbre de Paris. Nous parvenons à la place si connue du quartier, où des dizaines et des dizaines d'artistes peignent, dessinent ou jouent de la musique. L'endroit est très vivant et l'ambiance y est si douce que ça nous entoure le coeur pour le placer dans un ressenti léger et un peu hors du temps. On a presque l'impression de ne plus être au même siècle, sans savoir non plus donner d'époque précise. C'est assez étrange comme sensation, mais à la fois tellement agréable. Se laisser envahir par une nonchalance et une envie de flâner, sans se préoccuper de rien d'autre que de profiter des joies simples d'observer un artiste à l'œuvre ou d'écouter un air de musique au loin. Nous déambulons donc d'une toile à l'autre, en faisant toutes sortes de commentaires. Nous essayons de toucher quelques mots à ceux dont nous reconnaissons le talent flagrant. Enfin plus Mika que moi, vu que je ne parle toujours pas français. Plusieurs essaient de nous démarcher pour faire notre portrait, ils se tentent même à bredouille des mots en anglais approximatifs. Mais nous déclinons poliment car ça ne nous emballe pas. Nous préférons regarder leurs mains habiles à l'oeuvre alors que celui qui se fait tirer le portrait semble anxieux en face, car il ne voit pas le dessin évoluer. C'est assez amusant et puis surtout, je suis bluffé par leur savoir-faire. En peu de temps, certains arrivent à cerner le petit je-ne-sais-quoi qui fait ressortir la personnalité du poseur. Qu'est ce que c'est? Difficile à dire : un grain de beauté, une petite ridule, un retroussement discret de la commissure des lèvres, une lueur dans le regard? Chacun capte ce qu'il décèle, mais cela reflète au final de la qualité de l'oeuvre achevée, lorsque ce petit plus est présent. Cela transcende la simple reproduction bien dessinée. C'est un peu comme avec la photographie. Deux clichés d'un même sujet peuvent être très différents, sur un le cliché est plat, un peu bancal et le cadrage ne met pas en valeur la lumière ou les proportions avec ce qui l'entoure. Et sur l'autre cliché représentant la même chose, le petit plus peut transporter la photo dans une autre dimension car elle a saisit l'émotion de l'instant. C'est toute la différence entre un photographe du dimanche et un bon photographe. Je pense que c'est aussi la même chose entre un portraitiste moyen et un excellent.

Tandis que nous continuons de marcher nous finissons par arriver à l'extrémité de la place et nous poursuivons alors dans de petites rues charmantes. J'entends alors Mika commencer à fredonner une chanson en français. Alors qu'il reprend son souffle après un couplet, je lui demande de quelle chanson il s'agit. Il me dit que c'est La Bohème d'Aznavour. C'est ce quartier qui a inspiré ce titre à l'artiste et c'est pourquoi il est venu hanter la tête de Mika jusqu'à le lui faire entonner. Je lui demande d'essayer de me traduire ce que le texte dit.

Nous nous installons sur un banc en bois à côté d'un petit bosquet d'arbres abritant une placette. Au milieu une petite fontaine nous fait parvenir un léger bruit de clapotis d'eau. Assis côte à côte, j'interroge Mika à nouveau sur la signification de la chanson. Il m'explique qu'elle raconte l'histoire d'un jeune peintre vivant sans le sou à Montmartre, il y a longtemps. Le peintre alors plus âgé se souvient de ce temps révolu où l'insouciance rythmait ses journées. Cet artiste chante un amour de jeunesse rencontré dans ce quartier, lui peintre et elle qui posait nue. Ils leur fallait peu pour vivre et s'aimer. La fin de la chanson raconte que l'artiste plus âgé ne reconnaît plus sa jeunesse passée lorsqu'il revient en ces lieux qui ont tant changé.