𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 1

619 54 2
                                    


𝐃𝐨𝐮𝐱 𝐩𝐚𝐬𝐬𝐞́, 𝐭𝐫𝐢𝐬𝐭𝐞 𝐩𝐫𝐞́𝐬𝐞𝐧𝐭

Perdre le goût de vivre face à la mort d'un proche, conséquence dite humaine selon mon psychothérapeute. Et si je me suis promis de ne plus passer la porte de son cabinet, c'est pour la simple et bonne raison que je me sais avec certitude incapable de parvenir à dépasser mon deuil en me confortant dans l'idée que mon état s'explique par une simple réaction primaire.

À presque vingt-quatre ans, un accident trop soudain vient d'emporter l'homme qui partageait ma vie. Sous le choc de l'inacceptable nouvelle, mon corps s'est comme éteint. Et encore aujourd'hui, je tente de braver ma peine, en vain.

Mon quotidien se suffit de simplicité. Je reste passif, dans l'attente d'un signe. Quel signe ? Pas la moindre idée... C'est ainsi depuis de longues semaines, je reste prostré dans mon canapé, rejoignant mon lit vide quand la fatigue se fait trop importante. Les souvenirs accompagnent ma solitude. Terrorisé à l'idée d'oublier les traits délicats de mon petit ami, je ne peux m'empêcher de laisser les images de notre histoire tourner en boucle dans mes pensées. La galerie de mon portable m'offre tout le loisir de ressasser un bonheur envolé, abreuvant mes joues de larmes. La fatalité me brise peu à peu et il me paraît impensable de braver ma peine. Et si le passé semble me poursuivre, je le laisse alimenter ma douleur. Celle-ci, si vive, qu'elle ronge peu à peu ma raison.

Tout à réellement prit sens, ma vie, pour ainsi dire, a pris sens en apprenant mon admission pour l'université de New-York dont je redoutais, malgré l'excellence de mon dossier, une réponse négative. Mon départ de la Corée pour les États-Unis représentait une forme de renouveau. Ma famille, intolérante face à ce qu'ils percevaient comme une différence, m'éloigner me paraissais la plus sage des décisions. Désormais je me décharge de leurs idées préconçues.

À mon arrivée sur le nouveau continent, mon meilleur ami m'attendait déjà depuis quelques années et tout naturellement, nous nous étions rapidement décidés à partager l'appartement du jeune homme. Yoongi n'étudiait plus depuis son départ, prônant davantage la rémunération de de petits jobs aux études universitaires. J'admirais la volonté de mon ami, il souhaitait échapper à la pression familiale, un aspect similaire de nos vies respectives que nous partagions et qui nous a tant rapproché quelques années plus tôt.

Et finalement, au détour d'une conversation, Yoongi m'avait confié que son frère désirait à son tour le rejoindre. Je connaissais de ce fameux frère que son prénom, vaguement évoqué aux cours de certaines conversations.

Un parfait coup de foudre.

Au moment même où mon regard a croisé le sien. Et sans savoir la réciprocité de nos sentiments, j'avais souffert pendant des mois de mon silence. Park Jimin hantait mes songes, perturbait mes sens. Et puis ce soir-là, ses lèvres sur les miennes... Je savais qu'il ne s'agissait pas d'une simple attirance. Pour dire vrai, je n'en doutais pas, seulement, ce baiser avait eu pour effet de renforcer cette idée bien établie.

Tout était parfait. Peut être trop parfait, mais la mort ne prévient pas, jamais.

Je me redresse brusquement sur mon sofa, le cours de mes pensées interrompue par la sonnerie familière de l'interphone. Je suis bien loin d'ignorer que Yoongi souffre de la situation, et pourtant, je ne parviens pas à le ménager. À mes côtés, chaque jour, lui et son petit ami m'apportent un soutien sans limite. La culpabilité me ronge, mais je suis bien incapable de me relever, assommé par le triste sort que la vie a réservé à l'homme que j'aime éperdument.

Je déverrouille la porte de l'immeuble d'un geste devenu automatique, mécanique. Bientôt Yoongi passe le pas de la porte, son regard capturant le mien le temps de brèves secondes. Le silence s'impose sans qu'il ne soit gênant. Mon ami dispose les quelques courses sur le plan de travail, s'affairant discrètement à la préparation du repas.

Les journées se ressemblent. L'expression "décente aux enfers" prend tout sont sens alors que Jimin côtoie certainement les anges.

- Tu es sorti aujourd'hui ? S'enquiert Yoongi en s'appliquant à la tâche, affichant un sérieux qui, dans d'autres circonstances, m'amuserais.

- Non. Je murmure, ma voix à peine audible tant ma gorge me brûle d'avoir trop criée ma douleur.

- Demain tu m'accompagneras à l'université, on vas récupérer ton diplôme. Vas prendre une douche, Hoseok et les garçons ne vont pas tarder. Sa voix se fait trop tendre et une angoisse vient tordre mon estomac.

J'obéis docilement. L'attitude de Yoongi pourrait paraître étouffante, mais tout au contraire je parviens à ne pas perdre pied alors qu'il donne presque un sens à mon quotidien depuis la mort de Jimin.

Tout juste diplômé en histoire de l'art, je me souviens de l'engouement de mon petit ami à l'idée de célébrer l'événement. Une certaine fierté baignait ses orbes brunes en constatant mon dur labeur. Une époque révolue.

L'eau brûlante détend peu à peu mes articulations tandis que mes larmes devalent mes joues. Je me perds de nouveau dans mes pensées, si bien que j'en oublie presque d'expirer l'air qui remplie mes poumons. Mes gestes se font lents, désincarnés, alors que j'enfile mes vêtements pour la nuit. Dans le salon, les deux garçons de Hoseok s'occupent silencieusement, quelques feuilles disposées sur la table basse, une trousse éventrée trônant sur la surface vernie du meuble. Hoseok partage la vie de mon meilleur ami depuis déjà quelques années. Ce dernier est un New-yorkais de pur souche, bien qu'il ait hérité ses origines coréenne de son père, Jimin s'amusait beaucoup de voir le jeune homme tenter d'apprendre quelques mots de sa langue paternelle pour les beaux yeux de son petit ami. Ce couple semble intouchable et leur complicité, curieusement, m'apporte un certain réconfort.

Je viens m'installer près des deux garçons, admirant le calme désarmant dont ils font preuve. Ils ne comprennent pas vraiment l'absence de celui qu'ils considéraient comme leur oncle et leur père essaie de ne pas trop les bousculer. Je comprends que le sujet soit délicat, je me sens presque coupable de ne pas pouvoir me prononcer sur le sujet quand, du haut de leurs jeunes âges, ils me questionnent sur sa disparition.

- Est-ce que tu dors un peu mieux ces derniers jours ? Me demande doucement Hoseok, certainement pour ne pas me brusquer.

- Pas vraiment... Je marmonne alors que Yoongi glisse une assiette sous mon regard que je devine abattu.

- Trixie m'a donné quelques infusions, ça peut t'aider à te détendre. M'assure Hoseok alors qu'il tire un petit sachet de thé d'un sac en toile délaissé sur le sofa.

La dénommée Trixie, ex compagne d'Hoseok, ne manque jamais une occasion de démontrer sa nature compatissante. Je sais que le petit ami de Yoongi garde une profonde affection pour la mère de ses enfants et la relation qu'ils entretiennent démontre une maturité surprenante.

- Je vais essayer... Je souffle alors, offrant un faible sourire à la hauteur de mes capacités à mon ami.

Malone et Addison de respectivement quatre et six ans trouvent l'attention de leur père quand ce dernier leur intime de cesser leur activité afin de dîner dans de bonnes conditions.

La soirée se déroule en toute simplicité, bien que le regard de Yoongi reste à l'affût du moindre de mes gestes. Comment peut-il le supporter ? Yoongi adorait son frère, et ce depuis l'instant où sa mère avait arboré un jolie ventre rond. Son adoration s'exprimait au travers des petites attentions que le jeune homme portait à son cadet et je garde encore l'image d'un Yoongi euphorique à l'arrivée de son frère sur le sol américain.

Chassant les quelques larmes qui perlent sur mes joues, je suis saisi d'un léger sursaut en sentant un frisson parcourir ma nuque. Balayant les alentours, désarçonné, je secoue doucement la tête en soupirant lourdement.

À ce moment, je ne suis pas vraiment conscient que ma vie, mes croyances, ma rationalité, sont sur le point de prendre un tournant déroutant.

~
Mv̶ ❥

𝐋𝐨𝐬𝐭 - 𝐓𝐨𝐦𝐞 𝐈 | 𝐕𝐦𝐢𝐧 ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant