sa mère ou d’avoir tué un homme ? » Le public a ri. Mais
le procureur s’est redressé encore, s’est drapé dans sa
robe et a déclaré qu’il fallait avoir l’ingénuité de
l’honorable défenseur pour ne pas sentir qu’il y avait
entre ces deux ordres de faits une relation profonde,
pathétique, essentielle. « Oui, s’est-il écrié avec force,
j’accuse cet homme d’avoir enterré une mère avec un
cœur de criminel. » Cette déclaration a paru faire un effet
considérable sur le public. Mon avocat a haussé les
épaules et essuyé la sueur quicouvrait son front. Mais lui-
même paraissait ébranlé et j’ai compris que les choses
n’allaient pas bien pour moi.
L’audience a été levée. En sortant du palais de justice
pour monter dans la voiture, j’ai reconnu un court instant
l’odeur et la couleur du soir d’été. Dans l’obscurité de ma
prison roulante, j’ai retrouvé un à un, comme du fond de
ma fatigue, tous les bruits familiers d’une ville que
j’aimais et d’une certaine heure où il m’arrivait de me
sentir content. Le cri des vendeurs de journaux dans l’air
déjà détendu, les derniers oiseaux dans le square, l’appel
des marchands de sandwiches, la plainte des tramways
dans les hauts tournants de la ville et cette rumeur du ciel
avant que la nuit bascule sur le port, tout cela
recomposait pour moi un itinéraire d’aveugle, que je
connaissais bien avant d’entrer en prison. Oui, c’était
l’heure où, il y avait bien longtemps, je me sentais
content. Ce qui m’attendait alors, c’était toujours un
sommeil léger et sans rêves. Et pourtant quelque chose
était changé puisque, avec l’attente du lendemain, c’est
ma cellule que j’ai retrouvée. Comme si les chemins familiers tracés dans les ciels d’été pouvaient mener aussi
bien aux prisons qu’aux sommeils innocents.