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autant que sa femme. La petite femme automatique était
aussi coupable que la Parisienne que Masson avait
épousée ou que Marie qui avait envie que je l’épouse.
Qu’importait que Raymond fût mon copain autant que
Céleste qui valait mieux que lui ? Qu’importait que Marie
donnât aujourd’hui sa bouche à un nouveau Meursault ?
Comprenait-il donc, ce condamné, et que du fond de mon
avenir… J’étouffais en criant tout ceci. Mais, déjà, on
m’arrachait l’aumônier des mains et les gardiens me
menaçaient. Lui, cependant, les a calmés et m’a regardé
un moment en silence. Il avait les yeux pleins de larmes.
Il s’est détourné et il a disparu.
Lui parti, j’ai retrouvé le calme. J’étais épuisé et je me
suis jeté sur ma couchette. Je crois que j’ai dormi parce
que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des
bruits de campagne montaient jusqu’à moi. Des odeurs de
nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La
merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi
comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit,
des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour
un monde qui maintenant m’était à jamais indifférent.
Pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai pensé à
maman. Il m’a semblé que je comprenais pourquoi à la fin
d’une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait
joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet
asile où des vies s’éteignaient, le soir était comme une
trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s’y
sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne
n’avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis
senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère
m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit
chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la
première fois à la tendre indifférence du monde. De
l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que
j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout
soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me
restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le
jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris
de haine.

camusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant