maman : il était allé voir exécuter un assassin. Il était
malade à l’idée d’y aller. Il l’avait fait cependant et au
retour il avait vomi une partie de la matinée. Mon père
me dégoûtait un peu alors. Maintenant je comprenais,
c’était si naturel. Comment n’avais-je pas vu que rien
n’était plus important qu’une exécution capitale et que, en
somme, c’était la seule chose vraiment intéressante pour
un homme ! Si jamais je sortais de cette prison, j’irais voir
toutes les exécutions capitales. J’avais tort, je crois, de
penser à cette possibilité. Car à l’idée de me voir libre par
un petit matin derrière un cordon d’agents, de l’autre côté
en quelque sorte, à l’idée d’être le spectateur qui vient
voir et qui pourra vomir après, un flot de joie
empoisonnée me montait au cœur. Mais ce n’était pas
raisonnable. J’avais tort de me laisser aller à ces
suppositions parce que, l’instant d’après, j’avais si
affreusement froid que je me recroquevillais sous ma
couverture. Je claquais des dents sans pouvoir me
retenir.
Mais, naturellement, on ne peut pas être toujours
raisonnable. D’autres fois, par exemple, je faisais des
projets de loi. Je réformais les pénalités. J’avais remarqué
que l’essentiel était de donner une chance au condamné.
Une seule sur mille, cela suffisait pour arranger bien des
choses. Ainsi, il me semblait qu’on pouvait trouver une
combinaison chimique dont l’absorption tuerait le patient
(je pensais : le patient) neuf fois sur dix. Lui le saurait,
c’était la condition. Car en réfléchissant bien, en
considérant les choses avec calme, je constatais que ce qui
était défectueux avec le couperet, c’est qu’il n’y avait
aucune chance, absolument aucune. Une fois pour toutes,
en somme, la mort du patient avait été décidée. C’était
une affaire classée, une combinaison bien arrêtée, un
accord entendu et sur lequel il n’était pas question de
revenir. Si le coup ratait, par extraordinaire, on
recommençait. Par suite, ce qu’il y avait d’ennuyeux, c’est
qu’il fallait que le condamné souhaitât le bon
fonctionnement de la machine. Je dis que c’est le côté
défectueux. Cela est vrai, dans un sens. Mais, dans un
autre sens, j’étais obligé de reconnaître que tout le secret
d’une bonne organisation était là. En somme, le condamné
était obligé de collaborer moralement. C’était son intérêt
que tout marchât sans accroc.
J’étais obligé de constater aussi que jusqu’ici j’avais eu
sur ces questions des idées qui n’étaient pas justes. J’ai
cru longtemps – et je ne sais pas pourquoi – que pour
aller à la guillotine, il fallait monter sur un échafaud,
gravir des marches. Je crois que c’était à cause de la
Révolution de 1789, je veux dire à cause de tout ce qu’on
m’avait appris ou fait voir sur ces questions. Mais un
matin, je me suis souvenu d’une photographie publiée par
les journaux à l’occasion d’une exécution retentissante. En
réalité, la machine était posée à même le sol, le plus
simplement du monde. Elle était beaucoup plus étroite
que je ne le pensais. C’était assez drôle que je ne m’en
fusse pas avisé plus tôt. Cette machine sur le cliché
m’avait frappé par son aspect d’ouvrage de précision, fini
et étincelant. On se fait toujours des idées exagérées de ce
qu’on ne connaît pas. Je devais constater au contraire que
tout était simple : la machine est au même niveau que
l’homme qui marche vers elle. Il la rejoint comme on