Chapitre 8: Flash Back

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Huit ans plus tôt.

-Aller Mia sort de ta chambre !

La voix de ma mère me fait sursauter, me sortant brutalement de mes pensées. Je vérifie une dernière fois ma tenue dans le miroir et m'apprête à sortir de ma cachette. Aujourd'hui pas question d'être mal habillée ou mal coiffée, l'année dernière je n'avais pas fait de véritables efforts et cela avait créer un énorme drame alors cette année j'ai fait attention à être irréprochable. Mes mains tremblent un peu en défroissant le tissu de ma robe sur mes genoux mais je n'y prête pas attention. Cette journée doit être spéciale, c'est maman qui l'a décidé et je sais bien qu'il ne faut pas la contrarier surtout dans un jour comme celui-ci. 

Je prends une grande inspiration et descend dans le salon où un cupcake rose m'attends sagement posé sur la table atour de laquelle maman virevolte dans tous les sens comme si elle était incapable de s'arrêter. Moi je sais bien que c'est le cas, elle ne peut pas s'arrêter de bouger, ça va faire maintenant une semaine qu'elle est remontée sur ressort comme une pile électrique, je pense que c'est sa facette la moins pénible même s'il faut toujours faire très attention, je redoute seulement le moment qui la fera changer d'humeur et ce qui m'attends après.

-Oh mon petit oiseau, tu as neuf ans aujourd'hui, c'est un jour spécial. Babille-t-elle en tapant dans ses mains. Je me force à lui sourire et m'installe en face de mon gâteau. Papa n'est pas là pourtant il m'avait promis qu'il essayerai, j'ai un petit pincement au cœur même si j'étais presque sûre qu'il ne serai pas présent. Elle allume une bougie sur le glaçage rose et la souffle sans plus attendre, j'applaudis et son rire cristallin s'élève dans la pièce.

-Tu sais quoi, petit oiseau ? On devrait aller faire une balade.

Mon cœur s'emballe à cette annonce, c'était inévitable le jour de mon anniversaire mais je sens déjà mes entrailles se recroqueviller en moi. A chaque fois qu'on part en balade, on finit sur ce fichu pont et comme à chaque fois je dois la dissuader de ne pas sauter. Mon cerveau tourne à plein régime cherchant une échappatoire à lui proposer pour contourner son idée de balade même si je pense que c'est totalement inutile.

-On pourrait jouer de la guitare à la place non ? Tu devais m'apprendre une nouvelle chanson tu te souviens ?

Je me tords nerveusement les doigts, attendant sa réaction le cœur battant. Elle fronce les sourcils et me regarde sans rien dire pendant ce qui me semble être une éternité.

-Tu ne veux pas qu'on y aille c'est ça ? Cette journée était pourtant idéale ! Tu ne pourras pas m'enfermer éternellement, je t'ai déjà donné tellement. Quand est ce que tu vas me redonner ma liberté ?

Ses yeux lancent des éclairs et sans attendre elle m'assène une gifle retentissante. Je ne bronche pas mais les larmes perlent aux coins de mes yeux, je me concentre pour ne pas les laisser couler et vais mettre mes chaussures pour partir en balade. Elle se radoucit voyant qu'elle a gagner comme toujours.

-Aller petit oiseau dépêche-toi, il faut qu'on soit rentré quand ton père sera là.

Je sais très bien que mon père ne sera pas là avant de longues heures et aura surement fait un petit tour au bar avant la maison mais elle semble l'oublier comme toujours. Nous marchons en silence jusqu'au fameux pont, j'ai l'estomac tout retourné et j'ai l'impression que je vais défaillir à chaque pas qui me rapproche un peu plus de l'inévitable. Ma mère se penche dangereusement par-dessus la rambarde et regarde le ciel avec envie.

-Regardes comme ces oiseaux ont l'air heureux ! Je pense qu'il est temps pour moi de les rejoindre.

Je tressaille à ces mots et mes ongles se plantent instinctivement dans mon avant-bras m'aidant à garder le contrôle de moi-même.

-Et moi maman ? Je suis encore trop jeune pour prendre mon envol.

-Tu as neuf ans maintenant c'est amplement suffisant.

Elle se penche un petit peu plus sur la pointe des pieds et écarte les bras.

-Et si ce n'est pas suffisant ?

Elle se retourne violemment vers moi et me scanne de la tête aux pieds pesant le pour et le contre.

-Je pourrai partir sans toi et tu me rejoindras quand tu en seras capable.

-Mais dans ce cas personne ne pourra m'apprendre. J'ai besoin de toi pour savoir comment faire.

-Tu as surement raison, je ne peux pas compter sur ton père pour t'apprendre ce genre de choses. L'année prochaine sera la bonne.

Elle s'éloigne du vide et je reprends enfin mon souffle. Cette année n'est pas encore l'année où ma mère sautera. Combien d'année me reste-t-il avant qu'elle ne « prenne son envol » ? Je me le demande.

Une fois à la maison je sens que cette journée l'a vidée de son énergie, elle va se coucher sans un mot. Je range la maison et prépare à manger comme à mon habitude. Quand je suis certaine quand mon père ne sera pas là pour le repas, je mange devant la télé et fini par m'assoupir bercée par les voix qui s'échappent de notre vieux poste. 

Le bruit de la porte d'entrée me sort de mon sommeil et j'aperçois mon père s'avancer incertainement dans la pièce. Il s'affale lourdement à côté de moi sur le canapé, des effluves d'alcool s'échappent de lui mais je suis quand même soulagée qu'il soit là.

-Alors petit oiseau, ce n'est pas encore l'heure du grand envol ?

Il rigole doucement comme si c'était anodin de poser cette question à propos de l'envie grandissante de ma mère de se jeter du haut de ce pont. Je secours vivement la tête et malgré moi quelques larmes s'échappent de sous mes paupières. Il les essuie doucement de ses mains caleuse.

-Joyeux anniversaire mon petit ange.

-Merci. Soufflé-je, apaisée par le fait que cette journée soit enfin finie. Il pousse un long soupir faisant écho à mes pensées et pose son regard trouble sur moi.

-Tu sais ta mère était heureuse à une époque. Enfin je veux dire qu'elle n'a pas toujours été comme ça. Ça empire depuis... et bien...

-Depuis que je suis née, je sais.

-Elle n'est pas faite pour être mère c'est tout, il ne faut pas lui en vouloir.

Même si j'ai déjà entendu ces mots je les sens transpercer mon cœur pour s'incruster au fer rouge dans mon âme. Je me force à sourire pour qu'il ne remarque pas ma peine.

-Je sais que ce n'est pas sa faute, ne t'inquiètes pas.

En disant cela je me rends compte qu'au fond de moi je lui en veux terriblement pour tout ce qu'elle nous fait subir mon père et moi au quotidien. Je lui en veux à elle mais aussi à lui pour fuir et rester le plus longtemps possible hors de la maison me laissant tout gérer toute seule. Certains moments j'aimerai leur hurler à tous les deux de me permettre d'être une enfant normale et de me laisser tranquille mais je n'oserai jamais faire ça.

-Tu me joues une petite chanson ?

Je hoche la tête et vais chercher ma guitare dans ma chambre. Je lui joue mes morceaux un par un en chantant quelques paroles de temps en temps, je continue même après qu'il se soit endormi. C'est ma façon à moi de lui dire que je l'aime même si ce n'est pas toujours facile et qu'il n'est pas toujours là. J'aimerai lui dire que je comprends et que malgré ma colère il n'a pas à s'en faire mais j'en suis bien incapable. Il se confie un peu à moi sur ce qu'il ressent, le plus souvent quand il est ivre, mais je n'ai jamais osé lui parler de ce que j'éprouve au fond de moi et je ne le ferai surement jamais. Je vais me coucher en pensant qu'un beau jour ma mère finira par sauter de ce pont et que ce jour là marquera surement la fin de la vie de mon père ainsi que la mienne. 

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