Prologue

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Juin 2020

Harry

Mes pieds raflent le gravier et la même boule que la dernière fois apparait dans le creux de mon ventre. Et je trouve ça triste. Qu'ils n'aient pas trouvé mieux que moi pour l'aider. Quelqu'un de plus compétent, de moins impliqué, de plus stable aurait été mieux. Mais pas moi. Ils n'auraient pas dû, il ne mérite pas ça.

"Je te récupère à treize heures comme hier, d'accord ?"

Je me retourne vers ma mère. Son buste est penché vers le siège passager pour que l'on maintienne un contact visuel. Ses cheveux mi-longs sont encore attachés en queue de cheval et ses cernes sont cachés par un trop plein de maquillage.

"Oui. A tout à l'heure."

Elle acquiesce et redémarre, quittant la cour en trombe, déjà en retard pour son premier soin de la journée. Je la regarde disparaitre dans un nuage de poussière, prenant une profonde inspiration.
Toute sa famille est déjà partie. Lottie au lycée et ses parents déjà engagés corps et âmes dans leur travail respectif, le laissant lui, assis sur la troisième marche devant le porche.

Il me fait face, feignant la plus totale indifférence. Et je lui souris, comme je le fais toujours depuis plus de deux semaines, prétendant qu'il pourrait être capable de le voir.

"Bonjour Louis?", murmuré-je en approchant jusqu'à arriver à sa hauteur.

Il ne me répond pas. Il hausse les épaules et je sais qu'il n'en a déjà plus rien à faire de moi. Enfin, ce n'est pas comme si mon sort l'avait un jour importé. J'ai l'habitude, depuis le temps.
Ses lunettes de soleil cachent toujours ses yeux. Ils étaient bleus à l'époque, et c'était la plus belle couleur qu'il m'ait été donné de voir. J'aimerais savoir s'ils ont toujours cette couleur ou si, même ça, la vie a décidé de le lui reprendre : il ne m'a jamais laissé les voir et je n'ai jamais osé le lui demander.

"J'ai amené de la musique aujourd'hui. Arctic Monkeys, tu connais ?"

J'attends une réaction, n'importe laquelle. Un long soupir, un « Ben oui Ducon. Qui ne les connait pas ? », un froncement de sourcil, ou peut-être même un petit sourire en coin, mais non. Rien. Rien, une routine à laquelle je finis par m'habituer dans le fond.
Alors je me passe une main sur le visage et retiens un grognement, parce qu'il pourrait l'entendre. Parce que ça, ouais, il le pourrait.

Il fixe toujours la cour devant lui. Ou du moins, maintenant que je me suis mis à hauteur de son visage, c'est plutôt mon torse qu'il scrute, mais je ne pense pas qu'il puisse s'en rendre compte. Je ne sais même pas s'il a encore les yeux ouverts. Et peut-être que lui non plus, il ne le sait pas.
Ses cheveux voltigent dans tous les sens et c'est beau. Vraiment beau. J'aimerais le filmer pour lui montrer tout ce qu'il rate, à quel point j'ai de la chance d'être aussi proche de ses un mètre soixante-quinze de beauté, mais ça non plus, il ne pourrait pas le voir. Jamais.

Alors je me contente de l'aider à se relever pour l'emmener à l'intérieur.

Louis

Je ne sais pas comment on a pu en arriver là.

Ou peut-être que si, finalement. C'est probablement pour ça que tout sonne aussi creux.

Avant, j'avais le monde à mes pieds.

J'étais l'archétype même du lycéen populaire.

A la tête de l'équipe de foot de la ville.

Une bourse, des notes convenables.

Un petit-ami parfait, une bande d'amis que je pensais solide, une famille aimante.

Et maintenant ?

Maintenant, il n'y a plus de bourse, plus de monde à mes pieds, plus d'avenir.

Je ne fais plus qu'exister dans ce monde qui m'a tout pris.

Alors à quoi bon ?

Blinded [L.S.]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant