Brûlure

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Pardonnez-moi...

Les anges et les démons ne sont pas faits pour bien s'entendre. Ils évoluent dans un environnement où tout les pousse à la haine l'un de l'autre. Les démons furent des anges, bien sûr. Mais ils étaient déchus. Comment pourraient-ils apprécier les anges, et cette ancienne vie qu'ils avaient vécu avant de tomber du Paradis ? Et inversement, comment les anges pourraient-ils regarder les démons sans voir leur possible Chute, un possible futur menaçant qu'ils font tout pour éviter ?

Mais il y avait une exception. Il y avait toujours une exception, pour sans doute confirmer la règle. Aziraphale et Crowley, contre toute attente, s'entendaient bien – très bien. Aziraphale regardait Crowley sans voir la Chute. Crowley voyait Aziraphale pour celui qu'il était, et pas comme un mirage du passé. Et puis ils partageaient tant de choses, tellement plus qu'avec leurs camps respectifs, à commencer par leur amour pour la Terre, et leur amour l'un pour l'autre, même si ce dernier était implicite et jamais évoqué à voix haute.

Depuis la Non-Apocalypse, ils passaient de plus en plus de temps ensemble. Il y avait toujours une place pour Crowley dans la librairie, et si jamais, au terme d'une de leurs nombreuses soirées alcoolisées, Crowley n'était pas en état de conduire, il avait toujours une épaule sur laquelle dormir. Miraculeusement, si Aziraphale avait soudainement envie de sortir au restaurant, il y avait toujours une table de libre. Si un client avait le malheur d'importuner Aziraphale, un énorme serpent le faisait fuir. Si Crowley était pris d'idées noires, son téléphone avait la bonne idée d'appeler Aziraphale.

Donc, Crowley vivait plus ou moins à la librairie. C'était une sorte d'accord tacite entre eux : ils étaient dans une situation d'équilibre précaire, qui pouvait à chaque instant. Tant qu'ils ne questionnaient pas ce qui se passait entre eux, tout allait bien. Crowley passait donc le plus clair de son temps à la librairie. Il adorait faire semblant de ne pas lire, alors qu'Aziraphale savait pertinemment que Crowley lisait peut-être même plus que lui.

Puis un jour, l'équilibre bascula. Parce que, au milieu de tous ces non-dits, Crowley en possédait un qui risquait bien de tout faire s'écrouler.

Ses cheveux roux lui tombaient devant les yeux. Il était penché sur un livre, parcourant les mots de son regard qui glissait sur chaque phrase. Crowley n'arrivait pas à se concentrer. Une phrase continuait de le hanter. « Fais quelque chose, où je ne te parlerai plus jamais ! ». L'intonation, le regard flamboyant, tout y était, Crowley se souvenait de tout.

Aziraphale lui avait dit cette phrase. Crowley ne savait pas pourquoi il en avait été tant marqué. Probablement à cause de la peur que cette phrase lui avait procurée, tant de frayeur qui l'avait envahi à cet instant précis. Ne plus jamais parler à Aziraphale. Etait-ce donc cela, que d'avoir peur ? Certainement, et plus encore.

Crowley soupira. Il attacha ses cheveux en chignon rapide derrière son crâne, comme Aziraphale rentrait, tout sourire, dans la librairie.

- Bonjour, mon cher. On va dîner ?

Aziraphale, depuis qu'ils vivaient pratiquement ensemble, s'était montré de plus en plus entreprenant : des sourires, des clins d'œil, des mains qui s'effleurent. Et pour Crowley, ce n'était que douleur.

Physique, on s'entend. Crowley souffrait, physiquement, quand Aziraphale le touchait. A travers les vêtements, c'était juste une légère chaleur, mais, quand ils se touchaient peau contre peau (quand Aziraphale attrapait quelque chose que Crowley lui tendait, quand ils marchaient côté à côté dans la rue et que leurs mains se frôlaient), c'était une brûlure qui saisissait Crowley. C'était si faible qu'au départ, Crowley ne l'avait pas remarqué. Puis cela s'était intensifié, et ainsi, au moindre frôlement, Crowley brûlait.

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