Chapitre 2

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   Cela faisait maintenant dix ans, jour pour jour, que la solitude s'était invitée chez lui. Parfois ses parents lui manquaient. Il aurait aimé les connaître plus, pouvoir discuter, rire, grandir et vivre avec eux. Avoir l'impression d'appartenir à une vraie famille. Quand il était dans ses mauvais jours, il les haïssait de toute son âme de l'avoir abandonné... Et même de lui avoir menti !

  Mais par moment, il croyait en eux. Il était persuadé que le jugement était faussé, que ses parents étaient d'excellents citoyens et qu'ils n'avaient pas participé à cet attentat, qui fût un admirable échec. Que le procès était erroné, que ce n'étaient que de terribles rumeurs. D'autres fois, il était horrifié par ces adultes cruels, qui n'avaient pas hésité à mettre leur famille en danger, à LE mettre en danger, pour la chose la plus impensable du monde.

   Quel que soit son raisonnement, ses sentiments, Nori finissait toujours par retenir ses larmes, revoyant le visage dévasté de sa mère et la détresse de son père lors de leur arrestation. Le jeune homme espérait pouvoir un jour démêler les fils de cette enquête, même si le résultat lui faisait peur...

  « Nori, le repas est prêt. Ne tarde pas à venir, Navile n'est pas très contente que tu sois resté longtemps à l'extérieur de la nurserie sans la prévenir. Sa patience a des limites !

- Oui, pardon pour tout à l'heure Cocha. Je te jure que je n'avais pas vu le temps passer ! Je te suis. Qu'y a-t-il au menu ce soir ?, demanda le jeune Aquarante en se levant.

- Je te crois, je sais que tu n'avais pas de mauvaises intentions. Ce soir, c'est riz de mer et poissons frits. Ça te va ?

- Très bien, c'est mieux qu'une soupe de poissons de roches ! Je déteste ça !

- Pourtant, ce n'est pas si mauvais que ça. A peine moins bon que les huîtres en tout cas, répliqua Cocha.

- Tu rigoles ? Les huîtres, c'est aussi l'une des pires choses de la planète ! Beurk ! Rien que d'y penser, j'en ai des frissons !

- Rooooh, mais n'exagère pas, voyons ! »

   Les deux Aquarantes continuèrent à discuter de leurs goûts culinaires respectifs tout en avançant en direction de la cuisine. Ils entrèrent dans un couloir situé sur leur gauche, face à la porte d'entrée. Ce passage donnait sur trois pièces distinctes : un salon, un réfectoire et une cuisine. Sur leur droite, la porte du réfectoire était ouverte et un alléchant filet d'odeur de friture attisa leur faim. Des bruits de discussions leur parvinrent. Avant d'entrer dans la pièce, Cocha se retourna vers Nori, un air mi-gêné, mi-triste sur le visage.

  « Tu sais... Si jamais tu... tu veux parler à quelqu'un, sache que je suis là. Et je n'en toucherai pas un mot à la patronne... Elle... Elle m'a dit pour aujourd'hui. Je suis désolée... Mais souviens-toi que tu es quelqu'un de bien et qu'importe la réputation de ta famille, c'est toi et seulement toi qui décideras du chemin que tu prendras !

- Merci Cocha, mais je n'aime pas en parler. C'est déjà assez difficile d'essuyer tous ces regards de pitié.... »

   Une vague de colère arriva dans le cœur du garçon. Il évita le regard attristé de la nourrice et pénétra dans la salle pour mettre un terme à la conversation. Il avait du mal à confier ses sentiments aux autres. Et les nourrices qui l'entouraient quotidiennement étaient, certes, très gentilles, mais trop âgées pour comprendre ce qu'il ressentait.

   Il ne côtoyait jamais d'adolescents de son âge. Ce n'était pas faute d'avoir essayé, cependant, lorsque les autres enfants lui demandaient qui étaient ses parents, ils évitaient ensuite sa compagnie, une fois qu'ils étaient au courant. Il avait bien essayé de mentir, mais alors qu'il était doué pour ça avec les nourrices, il perdait tous ses moyens face à des jeunes de son âge.

   Assis au bout de l'une des trois longues tables traversant la pièce, Nori mangea le plus vite possible en évitant les conversations. Il s'éclipsa discrètement à la fin du repas. Aujourd'hui, il avait été épargné de corvée de vaisselle dû à la date du jour. Il aurait pourtant préféré qu'on fasse comme si de rien n'était.

   Il retourna directement à sa chambre, sans passer par l'aile des petits. Son humeur du jour n'allait pas les aider à se calmer avant de dormir. Il s'en occuperait mieux le lendemain. Il préféra aller se coucher pour oublier ses pensées qui le tourmentaient. Il n'aimait pas avoir l'occasion de ruminer comme aujourd'hui, cela lui faisait encore plus mal au cœur.

   Il essaya de se remémorer le magnifique coucher du soleil qu'il avait observé quelques heures auparavant. Cette petite île de sable isolée au milieu de l'eau était son paradis secret. Il doutait que quelqu'un connaisse le lieu. Et pourtant c'était l'un des plus beaux endroits de la planète, plus particulièrement lorsque le soleil embrassait l'horizon.

   Il réfléchit ensuite aux moyens de reproduire les nuances orangées du soleil avec ses encres colorées. La peinture était une échappatoire, une passion, une part de lui. Mais aujourd'hui, il n'avait pas réussi à prendre un pinceau. Après maintes et maintes réflexions, Nori finit par s'endormir, la tête pleine d'idées pour peindre de magnifiques couchers du soleil dans la journée du lendemain.

***

   Peu de temps après que l'adolescent se soit endormi, Navile passa la tête par l'entrebâillement de la porte. Elle sourit devant le visage apaisé de son protégé. Depuis qu'il était arrivé, lorsqu'il avait six ans, à la nurserie, elle essayait de lui redonner le sourire. Ce jeune Aquarante méritait de profiter de la vie, de son enfance, de son adolescence. Il n'était en rien responsable des agissements de ses parents. Navile aurait préféré pour lui qu'il soit recueilli par des membres de sa famille plutôt que de se retrouver dans un lieu rempli de bébés, mais malheureusement personne n'avait voulu de cet enfant de prétendus traîtres à la couronne.

   La femme s'approcha en douceur du lit et borda le dormeur. Elle rêvait de le voir un jour heureux, souriant et bavard. Elle s'était beaucoup attaché à lui, peut-être par pitié au départ, mais maintenant elle l'aimait plus fort que n'importe lequel des adorables bébés dont elle devait s'occuper - et pourtant, l'Eau sait combien ils étaient mignons. Elle l'aimait presque aussi fort que s'il avait été son propre enfant. Et qu'importe qu'il ne s'en rende pas compte, qu'il ne voit pas tout ce qu'elle faisait pour lui, cela était mieux. Il n'aurait pas compris son attachement, lui en aurait voulu et aurait cru que c'était simplement par pitié, par devoir qu'elle faisait cela. Mais il aurait eu tort : c'était par amour.

   Navile le regarda une dernière fois avant de quitter la pièce. Elle savait qu'aujourd'hui avait dû être un jour éprouvant pour lui, et elle savait combien il avait besoin d'être seul en ce moment. Mais si jamais un jour il voulait en savoir plus sur ses parents et leur procès, elle serait là. Elle avait un peu enquêté de son côté, pour mieux comprendre l'enfant brisé qui était arrivé à l'époque. Et pour mieux aider l'adolescent ouvert et curieux qu'elle espérait le voir devenir.

   Qu'importe le futur, qu'importent les obstacles que le destin placera sur son chemin, elle serait toujours là pour lui.

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Et de deux chapitres (bon en réalité cela correspond au premier chapitre dans la version originale de l'histoire hihihi !). Le personnage de Nori se dessine plus clairement, avec sa personnalité et ses doutes... Des ombres planent sur son passé, avez-vous quelques suppositions à émettre ?

Le prochain chapitre ne saurait tarder. Vous penchez pour un peu de bonheur ou une catastrophe ?

Concernant le rythme de publication, au départ je pensais publier un peu comme je le voulais, mais tout compte fait, je vais essayer de vous sortir deux chapitres par semaine : un le mercredi et un le week-end (évidemment cela peut changer en fonction de mes disponibilités ces jours là)

Bonne lecture !

Petite_Clarou

AquariusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant