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Kaïra adorait monter sur les remparts, à l'aube, quand tout le monde dormait encore, à part quelques serviteurs déjà à la tâche et les sentinelles fatiguées qui attendaient impatiemment la fin de leur tour de garde. Enveloppée dans une épaisse cape en laine brodée, elle s'installa alors très tôt le matin sur la muraille à l'est, guettant les premiers rayons du soleil. Comme elle profitait de la fraîcheur de l'air, à cette heure précoce ! Son nez la picotait délicieusement lorsqu'elle inspirait profondément. Le domaine était comme souvent englouti sous une brume dense. Celle-ci semblait presque luire, en particulier quand la lune s'attardait dans le ciel, comme pour saluer le soleil avant de lui laisser la place. Rien n'était à ses yeux aussi poétique et magnifique que cette aurore naissante sur le vaste domaine.

Elle avait également pour habitude de s'entraîner au maniement de l'épais qu'elle avait trouvé il y a quelques semaines près des écuries : elle profitait donc de ces quelques moments de paisibilité et de solitude pour pouvoir s'entraîner enchaînant  les mouvements et les parades qu'elles avaient mémoriser lors des entraînements vikings.

Pourtant, ce matin-là, quelque chose était différent. Elle regarda ses doigts qui tremblaient, mais moins férocement que lorsqu'elle s'était éveillée brutalement, fébrile, extirpée d'un terrible cauchemar dont elle ne se rappelait que de vagues bribes. Bondissant presque de son lit, elle s'était redressée en sursaut, le cœur battant la chamade, le souffle court.

Le même cauchemar : Tout n'était que flammes. Une fournaise infernale. Les hommes hurlaient, agonisants, les chevaux hennissaient de terreur et les épées se heurtaient dans un fracas meurtrier...

Il faisait encore nuit alors, et elle avait échoué à se rendormir, s'imaginant que les ombres qui dansaient dans sa chambre aux flammes de la cheminée dissimulaient de redoutables dangers. Enfin, elle s'était levée et prestement vêtue, puis avait grimpé à toute vitesse les marches de pierre menant aux remparts. Elle se sentait mieux, à présent, mais restait préoccupée. Jamais elle n'avait ressenti une telle angoisse ! Même les plus sombres cauchemars qui avaient jusqu'ici perturbé son sommeil ne l'avaient tant bouleversée que celui-ci. 

— Ahhh !

Le rouge-queue noire qui venait de la frôler disparut en direction du sud, sans doute pour rejoindre ses congénères dans les ténèbres sous les collines.

Cet animal m'a fait une de ces peurs ! pensa-t-elle avec un sourire. En réalité, elle lui enviait sa liberté. Comme cela devait être agréable, que de voler , au lieu de rester cloîtrée comme elle l'était dans ce château, aussi gigantesque et beau fût-il. Si seulement elle pouvait revenir chez elle, se dit-elle en reportant son attention sur l'horizon au loin.

Son cœur se serra et elle s'efforça de chasser ce triste souvenir avant qu'il n'assombrisse sa journée. On ne peut revenir en arrière... Sa mère le lui avait assez souvent répété.

Elle inspira amplement, et se sentit un peu mieux en posant une main ferme sur le pommeau de son épée. La rondeur froide du fer la ramena au temps présent. Déjà, le paysage ne tarderait pas à prendre des couleurs mordorées sous la lumière rasante du soleil levant. La brume sur le loch se dispersait, laissant apparaître des eaux d'un bleu profond. La lande s'habillait d'un vert intense. Au sud, les rochers vers les collines se paraient de nuances de gris, et les premières ombres soulignaient leurs formes rudes. Bientôt, l'hiver s'installerait et son manteau blanc viendrait tout couvrir.

Au loin, quelques cabanes se dressaient, de l'autre côté de rive caillouteuse. Quatre toits herbeux qui tombaient presque jusqu'au sol, pelotonnés face aux bourrasques marines. Plus loin, on apercevait un petit bois et, plus loin encore, les contreforts de collines à pente douce, entièrement couvertes d'une dense végétation. On pouvait y voir s'agiter petit à petit, l'une après l'autre les forgerons qui y travaillait jour et nuit.

SOUS L'EMPRISE DU VIKINGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant