VIII-Espoir naissant

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Sergueï enlaçait Iris dans l'espoir de la réconforter depuis déjà un bon moment. Le nez contre ses cheveux, il humait sans le vouloir son enivrant parfum. Comment ne pas succomber, dans ces conditions ? Après avoir entendu son histoire, il désirait plus que tout l'aider. La manière de procéder, cependant, lui demeurait obscure, d'autant plus que de son côté, il devait toujours remplir son objectif. Il craignait de la décevoir, comme tout son entourage. La différence, c'est que lui distillait des notes d'espoir, d'autant plus cruelles.

Il repoussa légèrement la jeune femme pour pouvoir la regarder dans les yeux. Une question d'importance, à l'issue de leur conversation, demeurait en suspens.

— Pourquoi refuser de vous repentir ?

Iris soupira.

— C'est tout bête, mais je ne veux recroiser personne. Ici, je suis certaine, ou presque, de vivre dans l'anonymat. Et... je me sens plutôt bien dans cet endroit, ajouta-t-elle avec un sourire hésitant.

Sergueï cacha sa bouche derrière sa main pour dissimuler une expression fort guillerette, bien en peine de dire pourquoi cette révélation lui causait tant de joie. Puis il se ressaisit. Il ne s'agissait pas d'un motif suffisant pour que son interlocutrice restât ici à jamais. La chose était même impossible pour une simple humaine.

— Vous savez, tenta-t-il de la raisonner, il n'y a quasiment aucune chance que vous retrouviez des personnes que vous connaissez. Et les Enfers sont tellement grands, il vous suffirait de les éviter...

Iris détourna les yeux et se mordilla les lèvres. Elle pensait qu'il essayerait de l'aider, mais se trompait visiblement.

— Je ne veux pas passer l'éternité dans la peur, répondit-elle en retenant difficilement de nouvelles larmes de dépit.

Elle se sentit d'autant plus misérable. Par ses précédentes paroles, le faucheur lui avait dévoilé sans s'en apercevoir combien son comportement était vain et puéril. Il existait des règles et il n'y avait aucune raison pour qu'elle seule y échappât. Mais la terreur l'emportait sur tout le reste, invariablement. Elle se moquait d'être justifiée ou non et vous envahissait, insidieuse.

Sergueï, qui comprit en observant la jeune femme sa terrible erreur, murmura ces quelques mots avec une grande douceur :

— Je vous demande pardon, Iris... Je veux vous aider, mais je ne sais juste pas encore comment m'y prendre.

Il n'entrevoyait pas de solution. Mais peut-être qu'en y réfléchissant posément il trouverait un moyen de les satisfaire tous les deux. Il avait peur, cependant, de la décevoir, la situation étant exceptionnelle. S'avançait-il trop ?

Il comprit qu'il avait en effet nourri démesurément l'espoir d'Iris lorsque celle-ci se hissa sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Elle avait été saisie d'une impulsion due à un mélange indistinct de reconnaissance et de désir envers Sergueï. Quant à ce dernier, il savait qu'il devait repousser Iris. Il l'attira plus près en pressant ses bras contre son dos.

La jeune femme ne s'attendait pas à ce qu'on lui répondît avec tant de ferveur. Elle sourit contre les lèvres du faucheur et glissa la main dans ses cheveux indisciplinés, tellement perdue dans les sensations qu'il lui procurait qu'elle ne parvenait plus à les distinguer. Un parfum de santal, une haleine mentholée, un nez dur contre le sien et des lèvres de velours, des bras qui l'étouffaient presque à force de la serrer mais qu'elle voulait pourtant sentir davantage... Et les battements de son cœur contre les siens, effrénés, pour rythmer leur passion.


*


Sergueï sortit de la chambre d'Iris complètement déboussolé, bien conscient d'avoir perdu la tête. Mais cette certitude n'enlevait rien à ce qu'il ressentait toujours en présence de la jeune femme. Sa vivacité d'esprit, son humour, sa manière de le défier, ses faiblesses et ses forces le happaient. Alors, en un instant, là, sur le pas de sa porte, il décida de lutter pour elle. Il n'en savait certes pas plus que tout à l'heure, mais s'informerait du mieux possible. En commençant par Ella, la réceptionniste qui semblait être au courant de tout et qui lui partagerait ses connaissances avec plaisir.

— Bonsoir, la salua-t-il en arrivant à son bureau.

— Salut, Sergueï, répondit-elle avec un regard curieux. Pourquoi tu restes planté là ? Tu veux quelque chose ?

Le faucheur aurait aimé pouvoir lire les gens aussi aisément que cette femme. Elle l'impressionnait chaque fois.

— J'aurais besoin de ton avis sur une question quelque peu épineuse...

— Je t'écoute, fit-elle simplement en remettant de l'ordre à son bureau.

Il lui raconta brièvement l'histoire d'Iris et sa volonté de demeurer ici. Ella prit d'abord le temps de la réflexion, puis avança, non sans hésiter :

— Il y a bien une solution, mais elle ne va pas te plaire, le prévint-elle.

— Qu'est-ce que c'est ? la pressa Sergueï, ravi qu'il existât au moins une possibilité, aussi difficile fût-elle à réaliser.

La réceptionniste coinça une mèche de cheveux derrière son oreille, lançant une bombe dans la plus grande des indifférences :

— Iris peut devenir une faucheuse.

— C'est hors de question ! beugla son interlocuteur, sidéré qu'elle pût faire une telle proposition. C'est bien trop dangereux, et tu le sais parfaitement, Ella.

— Peut-être. Mais qu'est-ce qui serait le pire, pour elle, à ton avis ? contra-t-elle. Je pense que si tu lui exposais cette idée, elle ne dirait pas non. Et c'est la seule manière pour que tu la gardes auprès de toi. Car c'est ce que tu veux, non ? ajouta-t-elle, non sans sourire malicieusement.

Sergueï grogna. Tout cela ne le menait à rien !

— Eh bien, elle pourrait aussi devenir un ange... glissa la réceptionniste.

— Tu me cherches ? s'énerva le faucheur. Sois sérieuse, je ne suis pas d'humeur.

Son interlocutrice pouffa.

— Mais non, voyons, dénia-t-elle, mi-figue,mi-raisin. En vérité, ce n'est pas si insensé. Si on la présentait en martyr...

Le brun tourna brusquement la tête vers elle.

— Continue, l'exhorta-t-il, sa curiosité piquée.

— Tu sais comment sont les anges... Ils aiment soigner leur image, et un membre qui aurait connu les pires tourments avant de précipiter lui-même sa fin, péchant gravement, leur ferait une sacrée publicité. Surtout s'ils sont les seuls à convaincre Iris de se repentir pour mieux aider son prochain, dans l'espoir d'éviter son sort à d'autres malheureux. Follement dramatique, tu ne trouves pas ?

— Ella, tu es un génie ! exulta Sergueï.

— Tu en doutais ? se moqua celle-ci. Ne t'en fais pas, je m'en occupe. J'ai la personne parfaite pour vous deux. Mais tu es sûr de ne pas préférer qu'elle devienne une faucheuse ? Vous pourriez être séparés longtemps.

Il sourit tristement.

— Tant que cela convient à Iris, cela me va aussi. D'après tes dires, elle pourrait prendre du grade facilement, et je me rapproche moi aussi d'une place importante. Nos retrouvailles seront peut-être bien plus rapides qu'on ne le pense, dans ces conditions.

— Certes. Mais on n'est jamais à l'abri d'un pépin, ne l'oublie pas.

— Je sais, Ella. Je sais.

 Sergueï la quitta rasséréné, pressé d'annoncer la nouvelle à sa belle le lendemain.

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