Sergueï dévalait les marches qui menaient aux oubliettes, une enceinte dernier cri sous le bras. Aujourd'hui, il séduirait Iris Lesbroufe, et cette dernière ne manquerait pas de tomber dans ses bras. Ensuite, il pourrait poursuivre son ascension hiérarchique comme si rien de tout cela n'avait eu lieu.
Le faucheur salua gaiement les gardes, tellement fier de son idée qu'il peinait à contenir son excitation. Comment réagirait la jeune femme en découvrant ce qu'il avait pris la peine de préparer pour elle ? L'impatience le brûlait.
Il entra enfin dans la cellule d'Iris après avoir déverrouillé la porte. Il pensa qu'il lui faudrait aussi lui permettre de regagner sa chambre. Se sentir prisonnière ne risquait pas de la mettre en confiance.
Cette fois-ci, elle ne dormait pas. Sergueï était venu plus tard qu'à son habitude, à quatorze heures, songeant qu'un après-midi au grand air s'avérerait bien plus appréciable qu'une matinée. Il sourit franchement à la jeune femme, leurs derniers moments passés ensemble la veille resurgissant sans son consentement dans son esprit. Quant à elle, malgré ses résolutions, elle ne résista pas au besoin de le lui retourner.
— Bonjour, Iris. Comment allez-vous ? s'enquit le brun, d'humeur particulièrement joviale.
Pour la première fois, notre héroïne lui répondit sans recourir au sarcasme :
— Bien, et vous ?
Ne croyant pas en sa chance, le faucheur s'empressa de répéter qu'il allait bien. Quelle était cette étrange allégresse qui facilitait de manière impensable leur échange, toujours placé sous le signe de diverses tensions en temps normal ? Il profita de cette atmosphère propice pour inviter Iris à se rendre aux jardins avec lui. La suspicion l'emporta temporairement chez elle, Sergueï le vit bien, mais elle accepta finalement. Et cela lui suffisait amplement.
Ils marchèrent donc côte à côte, et Ella, à qui rien n'échappait et qui semblait ne jamais se reposer, leur fit signe quand elle les aperçut. Tous les chemins, ici, menaient à elle. Elle ne parut pas étonnée de les trouver ensemble, sans doute prévoyait-elle que cela arriverait. Les méthodes de ce faucheur réputé pour son efficacité étaient connues de beaucoup, après tout.
Le curieux couple rejoignit la large double porte d'entrée, située juste en face du bureau de la réceptionniste pour simplifier l'accueil des visiteurs. Iris s'étonna encore de ce manque de sécurité, mais n'y prêta guère plus d'attention, ne sachant toujours comment comprendre l'invitation de Sergueï et se préparant d'ores et déjà au pire.
La jeune femme s'émerveilla en sentant la chaleur du soleil caresser sa peau. Ce sentiment, si naturel, lui avait manqué. Elle le croyait acquis, mais s'était visiblement fourvoyée. Elle tournoya sur elle-même, enhardie par ce peu de liberté recouvré, et en profita pour admirer le paysage qui l'entourait. Elle découvrit que des marches en marbre conduisaient à l'entrée imposante par laquelle elle et le faucheur étaient sortis, et se rendit compte que la bâtisse dans laquelle elle avait évolué tout ce temps était en fait un immense château, dont les tours s'élançaient à la conquête du ciel. Des gargouilles repoussantes, représentant diverses créatures qu'Iris pensait imaginaires, décoraient l'ensemble. Pour les Enfers, le tout demeurait cependant un peu trop normal à son goût. Où étaient les flammes, le fameux Charon et le célèbre Styx ? Certainement pas dans ce jardin gigantesque et fort bien entretenu qui rappela plutôt à notre héroïne celui de Versailles, avec cette fontaine magnifique en son centre. Mais Iris se dit intérieurement que les pires surprises pouvaient très bien se révéler au détour d'un chemin, ingénieusement dissimulées pour mieux punir les personnes à la curiosité exacerbée.
Sergueï l'enjoignit à emprunter le chemin central, assez grand pour qu'une dizaine de visiteurs se tinssent côte à côte. Arrivés à la fontaine, ils tournèrent à droite. Ils virent bientôt apparaître un kiosque à l'allure romantique, dont le bois était peint en blanc et qu'un toit noir recouvrait. Ils s'empressèrent de s'y poster pour examiner les environs. Le faucheur, de temps à autre, reportait toute son attention sur Iris pour guetter ses réactions. Le sourire de la jeune femme l'éblouissait. L'air frais ravivait sa beauté, teintant ses joues de rose et dissipant un peu de la fatigue de ces derniers jours. En toute discrétion, tandis qu'Iris continuait de savourer la beauté du paysage, Sergueï sortit son téléphone de sa poche. Il le connecta à l'enceinte et lança aussitôt La Valse à mille temps de Brel. La jeune femme, surprise, se tourna vers lui. Elle adorait cette chanson et s'étonna que cet homme pût tomber aussi juste, mais elle se demandait surtout quelle était la raison de toute cette mise en scène.
— Vous aimez danser, non ? demanda Sergueï en guise d'explication. Je ne m'y connais pas vraiment, mais j'imagine que si le titre de cette chanson comporte le mot valse, c'est que c'en est une.
Iris fut prise d'un fou rire irrépressible. Elle qui avait cru qu'il utiliserait sa passion comme arme de dissuasion s'était largement trompée. Elle regretta de lui avoir menti, mais la situation lui parut d'autant plus cocasse. De son côté, Sergueï n'en menait pas large. Il ne comprenait pas la réaction de la jeune femme. N'aurait-elle pas dû lui sauter au cou pour lui prouver sa reconnaissance ? Ou encore exiger de lui qu'il ne lui marchât sur les pieds sous aucun prétexte, moqueuse, avant de lui tendre la main ?
— Je ne sais pas danser, avoua finalement Iris après avoir repris contenance. J'avais peur que vous ne cherchiez à m'enlever ce que j'aime le plus, alors je vous ai menti. Je suis désolée, je ne pensais pas que vous feriez tout cela pour moi.
Le faucheur ouvrit grand la bouche, puis passa une main dans ses cheveux, un léger sourire au coin des lèvres.
— Il n'y a rien à pardonner.
Il ne pouvait pas s'attendre à ce qu'elle fût franche avec lui, après tout ce qu'il lui avait fait subir. Mais la déception, cuisante, se frayait tout de même un chemin en lui. Sans doute car son stratagème tombait pitoyablement à l'eau.
Iris hésita, puis, dans le but de se racheter, lui dit la vérité en cherchant à capter son regard fuyant :
— J'aime chanter.
Elle mit toute sa conviction dans ces mots, de telle sorte que Sergueï n'en doutât pas. Malgré tout, poussée par l'adrénaline et une curieuse intuition, la jeune femme commença de chanter La Valse à mille temps qui venait justement de se terminer. Ce faisant, elle souriait au brun, lui offrant avec joie cette part d'elle si précieuse à ses yeux, comme elle ne l'avait jamais fait avec personne.
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Paradis perdu
ParanormalIris Lesbroufe est morte en se suicidant. Pour rejoindre les champs Élysées, elle doit se repentir de son acte, jugé répréhensible par les faucheurs. Sergueï Lace, une véritable terreur parmi ses semblables, n'aura de cesse de convaincre cette femme...