« L'enfer, c'est les autres. »
Huis clos, Sartre
Iris fut réveillée par ce qu'elle prit d'abord pour une alarme incendie. Quand elle parvint à émerger des profondeurs d'un cauchemar dans lequel Laszlo et Sergueï lui couraient après armés d'une carotte, elle comprit qu'il s'agissait en fait d'une voix stridente. Victorine chantait sous la douche, et ce n'était vraiment pas joli à entendre. Il valait mieux se contenter de l'écouter parler.
La jeune femme prit le temps de remettre en place ses idées éparpillées sur l'oreiller avant de jeter un œil distrait au réveil. Il indiquait sept heures quarante. Par habitude, elle n'y prêta pas attention et serra les paupières pour mieux se rendormir. Il lui suffit d'une minute pour se rendre compte de sa terrible bévue :
— Déjà ! s'exclama-t-elle en se redressant vivement, au comble de l'affolement.
D'après Victorine, les cours commençaient à huit heures. Iris n'avait pas encore reçu d'emploi du temps et dépendait donc d'elle, d'autant plus qu'elle ne savait pas où se trouvaient les différentes salles. Or, si la jeune femme n'était pas prête à temps, elle pourrait dire adieu à la précieuse aide de sa camarade.
Elle s'extirpa de son lit en quatrième vitesse, manquant tomber, puis se dirigea vers l'armoire contenant ses nouvelles acquisitions. Elle n'avait pas vraiment eu voix au chapitre : elle avait laissé sa compagne choisir pour rentrer le plus rapidement possible et ainsi éviter de leur créer davantage d'ennuis. Iris en pâtissait maintenant : elle ne voyait pas un seul vêtement confortable dans les deux piles bien garnies disposées sur l'étagère. Elle soupira puis, en désespoir de cause, sélectionna le seul pantalon. Moulant et en simili cuir noir, évidemment. Et éminemment troué, pour ne rien gâcher. Elle ne voulait pas se faire remarquer, mais on ne verrait sans doute qu'elle. Surtout accompagnée de Victorine, dont le magnétisme attirait inévitablement l'attention.
Celle-ci sortit de la salle de bains sur ce fait, amenant avec elle une odeur de propre qu'Iris lui envia. Malheureusement, elle demeurerait crasseuse toute la journée à cause de ce maudit réveil qu'elle n'était, visiblement, pas parvenue à régler correctement.
— Tu viens de te lever ? s'étonna sa colocataire en découvrant sa mine défaite.
— Oui, marmonna la jeune femme, de mauvais poil.
— Attends, j'ai quelque chose pour toi !
Victorine fouilla dans son sac, puis brandit victorieusement une barre de céréales qu'elle lui tendit.
— Tu as loupé le petit-déjeuner. Mange ça, il faut que tu tiennes jusqu'à midi.
Ce simple geste émut Iris, qui la remercia chaudement. Cette journée ne commençait pas si mal.
*
— C'est elle ? murmurait-on sur le passage d'Iris.
Les étudiants amassés dans l'amphithéâtre la suivaient des yeux alors qu'elle se dirigeait vers deux places libres aux côtés de Victorine. Quand elles s'assirent, elle put nettement entendre les commérages de ses voisins. Une fille derrière elle décrivait avec force gestes son arrivée fracassante, tandis qu'un garçon à sa gauche s'interrogeait sur ses fréquentations et ses goûts vestimentaires sans la moindre discrétion. La jeune femme, excédée par tant de superficialité, inspira un grand coup et, décidée, se leva pour décharger son sac :
— Salut les amis ! Comme je vois que vous vous posez tous beaucoup de questions à mon sujet, je vais vous épargner une grande perte de temps et d'énergie en y répondant. Oui, c'est moi qui me suis étalée comme une crêpe dans la cour avec Monsieur Bonara et oui, notre position était très bizarre. Mais non, il n'y a rien de plus, et ce n'est pas parce que ma colocataire est lesbienne que vous devez en déduire que je le suis aussi, même si je dois reconnaître qu'elle est carrément sexy et hyper sympa. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi tout le monde semble la juger sur son style, ajouta Iris en coulant un regard admirateur vers elle.
Victorine, sincèrement ému, eut un petit rire étranglé pour cacher les larmes qui menaçaient de couler de ses jolis yeux émeraude. Mais la jeune femme n'avait pas fini de parler. Les événements récents repassaient promptement dans sa tête et la frustration accumulée ces derniers jours ressortait à présent sans qu'elle pût la retenir :
— Pour être tout à fait honnête, je pense rester célibataire pour le restant de ma mort, soit pour l'éternité. Voyez-vous, depuis que l'homme de mes rêves m'a arraché les ongles, j'ai quelques doutes existentiels sur le bien-fondé des relations amoureuses, fit-elle remarquer sarcastiquement. Si vous devez vraiment potiner, inspirez-vous plutôt de ces faits, ils claquent davantage. Vous pourrez même inventer des jeux de mots avec Enfers, puisque vous n'êtes pas sans ignorer qu'avant de venir ici, je me promenais par là-bas. Eh Alfred, tu vois la nana, là-bas ?mima Iris en prenant une grosse voix. Son histoire d'amour est un véritable enfer. Ah ah ah, que c'est drôle !
Elle prononça ces mots avec un air complètement atone assez révélateur de ce qu'elle pensait réellement des blagues de ce genre, puis conclut sommairement :
— Je vais m'arrêter là avant de m'enfoncer davantage.
Elle s'assit, profitant du doux silence que ses propos avaient imposé malgré eux, bien qu'elle fût consciente qu'ils n'arrangeraient sans doute pas sa situation. Mais qu'importe, c'était bon de se défouler sur des idiots.
La jeune femme laissa calmement son regard dériver jusqu'à la porte de la salle, dans l'attente du professeur. À la périphérie de son champ de vision, elle crut apercevoir un mouvement et se tourna donc vers le bureau destiné aux enseignants. Iris comprit alors pourquoi personne ne réagissait à son éclat...
— Merde ! jura-t-elle assez fort pour que tout le monde l'entendît. Mais qu'est-ce qu'il fout là ce timbré ?
Il suffisait visiblement d'évoquer Sergueï pour que celui-ci fît une apparition hautement improbable. Le Paradis avait tout d'un Enfer personnel...
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Paradis perdu
ParanormalIris Lesbroufe est morte en se suicidant. Pour rejoindre les champs Élysées, elle doit se repentir de son acte, jugé répréhensible par les faucheurs. Sergueï Lace, une véritable terreur parmi ses semblables, n'aura de cesse de convaincre cette femme...