— C'est pour ? s'enquit la réceptionniste des Enfers d'un ton peu amène, tout en continuant de lire un rapport.
Le jeune homme, déstabilisé, tâcha de s'expliquer en prenant un air assuré :
— Monsieur Novembre demande la terreur des Enfers.
Ella leva la tête de son dossier en haussant les sourcils. Cet événement était visiblement digne de son intérêt et le faucheur stagiaire, qui s'aperçut de ce changement comportemental, en profita pour enchaîner :
— La morte par suicide n°15 053 678 de ce siècle, Iris Lesbroufe, refuse de se repentir depuis déjà un mois. Nos services sont saturés et ne peuvent se permettre d'accueillir plus longtemps cette femme. Nous cherchons donc une solution efficace.
— Efficace, répéta l'employée en détachant lentement chaque syllabe. Radicale, plutôt, vous voulez dire.
Elle partit d'un grand éclat de rire, balaya l'air de sa main pour conclure l'affaire et se saisit du téléphone. Les choses risquaient de devenir intéressantes, dans le coin.
*
— Puisque je vous dis que je suis heureuse d'avoir mis fin à mes jours de mes propres mains ! Vous êtes bouché, ou quoi ? Vous connaissez pas les toilettes, aux Enfers ?
Antoine Novembre ignora ces deux dernières questions avec flegme. Sans son calme légendaire, il n'aurait pas donné cher de sa peau.
— Vous avez juste à dire « pardon de m'être suicidée » pour accéder aux champs Élysées puisque vous n'avez rien fait de répréhensible durant votre vie. Si vous continuez ainsi, vous allez achever de plomber votre dossier. Croyez-moi, vous ne voulez pas passer votre mort dans le Tartare.
Iris Lesbroufe croisa les bras et les jambes tout en le fusillant de ses yeux bleu-violet.
— Mentir, ce n'est pas bien ! répliqua-t-elle en fronçant le nez. Si je fais ce que vous me demandez, je finirai aussi au Tartare. Je préfère donc rester fidèle à moi-même et à mes idées.
Le faucheur songea qu'elle n'avait pas tort et qu'il pourrait difficilement réfuter cet argument. Il soupira, puis décida de prendre un nouvel angle d'attaque :
— Vous savez que si vous restez encore un mois, vos cheveux vont devenir totalement blancs ? Vous ressemblerez à une petite vieille et vous pourrez dire adieu à toute relation sociale dans l'au-delà.
— Je compte rester ici pour l'éternité, il n'y aura donc pas de souci, rétorqua encore la jeune femme qui resterait à jamais figée dans son corps de vingt-trois ans. Et je me moque de ceux qui seraient incapables de m'accepter à cause de quelques cheveux blancs, merci bien.
— Vous ne pouvez pas rester ici pour l'éternité et vous ne le ferez pas, assura en désespoir de cause son interlocuteur. Demain, je passe la main à un autre faucheur. Il est bien moins avenant que moi, et vous risquez de regretter de ne pas avoir changé d'avis.
— Le Diable en personne peut bien essayer de me convaincre, ma décision sera toujours la même !
« Elle ne sait pas ce qu'elle dit », songea Antoine en ébouriffant ses cheveux châtains déjà mal coiffés. « Sergueï est ce qui se rapproche le plus du Diable, ici, et personne ne peut aller contre son autorité. Elle changera vite d'avis, comme tous les autres récalcitrants. Au moins, je n'aurai plus à m'en soucier. » Il sortit de la pièce sur ce fait, mettant un terme à cette discussion stérile, puis s'adressa à un garçon de petite taille qui les attendait derrière la porte qu'il venait d'ouvrir :
VOUS LISEZ
Paradis perdu
ParanormalIris Lesbroufe est morte en se suicidant. Pour rejoindre les champs Élysées, elle doit se repentir de son acte, jugé répréhensible par les faucheurs. Sergueï Lace, une véritable terreur parmi ses semblables, n'aura de cesse de convaincre cette femme...