XIII-Une coloc' gay comme un pinson

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Iris se reprochait amèrement son manque de repartie face au directeur. Certes, ce dernier l'avait stupéfaite, et ce à bien des égards. Elle, une espionne de Sergueï ? Et puis quoi, encore ? Mais surtout, elle ne pouvait croire qu'elle échappait à l'un des frères pour retomber dans la gueule de l'autre... Ils ne se ressemblaient pas, ce qui rendait la chose d'autant plus difficile à concevoir. Même si les yeux rouges des faucheurs et les cheveux blancs des anges faussaient la donne, leurs traits n'avaient a priori rien de similaire. Ils étaient tous deux grands et forts, beaux et charismatiques. Cela en faisait-il pour autant des hommes susceptibles d'être liés par le sang ?Leur nom de famille, qui plus est, différait. Mais la jeune femme songea que cela ne voulait rien dire, d'autant plus qu'ils semblaient se détester. Enfin, en ce qui concernait Laszlo, en tout cas, car Sergueï n'en avait pas touché mot...

Une discussion entre Ella et Oscar revint alors à Iris. L'ange avait justement parlé d'un certain Laszlo qui devait joindre un conseil inconnu de la jeune femme. Avec un tel prénom, il ne pouvait pas s'agir d'une coïncidence. La nouvelle ne les réjouissait pas, si elle s'en rappelait bien.

Notre héroïne, ainsi plongée dans ses pensées, ne vit pas qu'elle fonçait droit dans un mur. Elle jura fort peu élégamment : pour quelqu'un qui reprochait sa maladresse à Oscar, elle n'était guère plus attentive à son environnement. Le secrétaire taciturne qui l'accompagnait aux dortoirs ignora les gémissements de sa compagne et continua d'avancer sans l'attendre, pressé de retourner à sa prime occupation.

Ils arrivèrent finalement à destination sans plus de désagrément, Iris ayant réussi à mettre de côté ses multiples interrogations pour épargner son pauvre corps déjà secoué par un atterrissage catastrophique... L'employé du directeur lui montra rapidement la salle commune des filles, confortable et animée, puis se dirigea vers les chambres. Il lui désigna de la main une porte décorée de croix et de dessins pleins de cadavres ensanglantés, puis l'abandonna à son sort. Peu rassurée par l'étrange passe-temps de sa colocataire, la jeune femme frappa trois coups timides, dans l'expectative.

— Une minute, j'arrive !

La voix de l'inconnue surprit Iris par son dynamisme et sa douceur qui contrastaient avec ses goûts quelque peu morbides. Dans l'encadrement, elle découvrit bientôt une gothique particulièrement classe, aussi grande et fine qu'un mannequin. Ses cheveux blancs et ses yeux vert clair contrastaient avec tout le noir qu'elle portait. Elle ressemblait à une princesse de conte de fées perdue en plein cauchemar. C'était à la fois étonnant et ensorcelant.

— C'est pour ? demanda-t-elle en penchant la tête de côté.

— Je suis Iris Lesbroufe, nous partageons la même chambre.

Son visage s'illumina à cette nouvelle et elle entraîna notre héroïne de force dans la pièce, soudain très tactile.

— Moi, c'est Victorine ! répondit-elle gaiement. Je t'attendais avec impatience. Et voici ma copine, Cassandre.

Elle désigna une jolie fille en sous-vêtements allongée sur le lit de droite. Celle-ci sourit franchement à la nouvelle arrivée, décomplexée, sans même chercher à se cacher. Iris n'allait pas s'en formaliser, même si elle espérait éviter de jouer les témoins, à l'avenir. Une situation gênante était vite arrivée.

— Salut, Cassandre ! lança-t-elle.

— Hey. Mais attends, tu ne serais pas celle qui vient des Enfers et qui s'est écrasée comme une crêpe en plein milieu de la cour ? s'exclama son interlocutrice ébahie.

— Euh... si. J'imagine que je prends le lit de gauche ? se reprit notre héroïne pour tâcher d'esquiver ce sujet dérangeant.

— Oui. Tu n'as pas de bagages ? l'interrogea Victorine.

— Non, fit simplement notre héroïne, peu désireuse de s'attarder sur son séjour aux Enfers.

Elle n'avait pour toutes affaires que les vêtements austères fournis par Ella à son arrivée, ce que ne manqua pas de noter la belle gothique, désapprobatrice.

— Il va falloir qu'on fasse les boutiques. Sur le champ ! Tu ne peux pas te pointer comme ça en cours, on va te prendre pour une vierge effarouchée. Chérie, on se voit demain.

Elle mima un baiser en direction de son amie déçue de devoir la quitter, puis attrapa l'épaule d'Iris pour mieux la pousser vers la sortie. Cette dernière voulut l'arrêter, ne connaissant pas les usages de l'UDA et du Paradis, mais sa colocataire avait une poigne de fer.

— Ne résiste pas. L'habit ne fait pas le moine, mais il change tout de même la vision qu'ont les autres de nous. Et je suis une spécialiste en la matière, tu peux me faire confiance !

C'était bel et bien ce qui inquiétait son interlocutrice... Elle détestait par-dessus tout courir les magasins. Elle avait certes besoin de quoi se changer, mais elle devinait que cette fashionista risquait d'en faire plus que nécessaire. Elle invoqua donc une excuse avec toute sa force de conviction :

— Peut-on vraiment sortir à cette heure-là ? Il doit y avoir un couvre-feu, et il est déjà vingt heures passées.

Victorine pouffa.

— Bien sûr qu'il y en a un. Le directeur veut absolument préserver la réputation de l'université, et les étudiants qui sortent le soir se font généralement remarquer pour de mauvaises raisons. Mais on s'en fiche, tout le monde fait le mur.

Sur ces mots, elle poussa son acolyte dans le dos pour la faire avancer. Celle-ci tenta une dernière manœuvre, désespérée :

— Les boutiques ne sont pas déjà fermées ?

— Si, mais ma mère en tient une, l'informa sa colocataire en lui souriant. Elle nous laissera entrer.

Iris fut obligée d'avouer que Laszlo ne la portait pas dans son cœur. Elle ne pouvait pas se permettre le moindre écart de conduite : il en profiterait à coup sûr pour l'enfoncer, voire la renvoyer.

— Tu t'en fais beaucoup trop, cocotte. Les surveillants sont très laxistes quand on les connaît un peu, et notre cher dirlo ne va pas te courir après dès ton premier jour. Détends-toi, tout roule.

La jeune femme hésita. Elle ne désirait pas passer pour la rabat-joie de service et devait bien reconnaître que Victorine n'avait pas tort. De plus, débarquer en plein milieu du semestre attifée comme une mendiante attiserait sans nul doute les rumeurs à son sujet. On ne l'avait déjà que trop remarquée...

— Bon, c'est d'accord à condition que nous rentrions le plus tôt possible, concéda-t-elle.

Étrangement, un mauvais pressentiment ne la quittait plus. Mais sans doute se montrait-elle simplement trop rigide...

Paradis perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant