Iris resta immobile un moment, n'osant y croire. « Mieux vaut demeurer sur mes gardes », songea-t-elle pour ne pas risquer de sombrer de nouveau.
— Oh ? Et à quel sujet ? Devrions-nous parler du temps ? ironisa-t-elle pour donner le change. Malheureusement, vous pouvez voir tout comme moi qu'il n'y a pas de fenêtre, ici. Difficile de parler de l'éclat du soleil, dans ces conditions.
Son discours fleurait fort l'amertume, mais jouer sur la culpabilité de son bourreau l'amusait, la jeune femme devait bien l'avouer. Sergueï, d'ailleurs, porta le poids de son corps sur son autre jambe, pas très à l'aise.
— Je me disais juste qu'on pourrait apprendre à... mieux se connaître, hasarda-t-il.
Iris haussa les sourcils, suspecte. Que lui valait ce revirement total ? La gêne du faucheur lui parut révélatrice : en cet instant, il avait tout du parfait bonimenteur. A moins qu'il ne feignît pas son embarras et fût sincère ? Notre héroïne en doutait.
— Et que voulez-vous savoir ? Pourquoi et comment j'ai mis fin à mes jours, j'imagine ? Allez-vous me torturer ? J'ai compris ! s'exclama Iris après une pause, victorieuse. Le mot qui vous échappe est interrogatoire, l'informa-t-elle en détachant bien chaque syllabe et en levant l'index en l'air.
Sergueï constata que sa prisonnière ne perdait rien de sa verve, et ce malgré son découragement évident.
— Vous savez bien qu'il n'en est rien, répondit-il laconiquement. (Il hésita un instant, mais rassuré par le silence de son interlocutrice, il poursuivit:) Avez-vous un passe-temps ? Une passion qui vous manque ?
Iris, complètement décontenancée, demeurait bouche bée. Elle tourna la tête de côté pour dissimuler sa surprise, en vain.
— Pourquoi vous renseigner sur quelque chose d'aussi inutile ? s'enquit-elle, ne sachant trop comment réagir à ce qui ressemblait fort à une plaisanterie de mauvais goût.
— Je vous l'ai dit, je veux mieux vous connaître, Iris, assura-t-il d'une voix chaude en plongeant ses yeux rouge sang dans les siens. Il n'y a pas de piège, affirma-t-il en se rapprochant de quelques pas.
Iris, figée sur place, désirait hurler qu'elle était sûre et certaine qu'il s'agissait bel et bien d'un traquenard voué à la perdre. Les mots, cependant, refusaient étrangement de passer la barrière de ses lèvres, qu'elle se contentait, faute de mieux, de mordiller nerveusement. Elle s'attacha à se rencoigner davantage contre son ami le mur, seul élément encore solide de son monde qui se délitait sous le regard de braise de Sergueï. Elle ne se reprit qu'en distinguant son parfum : il était près, bien trop près. Elle bafouilla donc pour donner le change, en espérant que cela lui suffirait :
— La... la d-danse !
Elle eut honte de bégayer, mais se félicita de son mensonge. Il lui couperait peut-être les jambes à présent, mais au moins épargnerait-il sa pauvre gorge.
— La danse... murmura le faucheur, l'air songeur, un sourire flottant sur ses lèvres troublantes. Comme cela vous sied bien, belle Iris.
Le brun avança encore d'un pas, comme hypnotisé par la jeune femme. S'il tendait la main, il la toucherait. Iris ferma les yeux, dans l'expectative. La peur le disputait à l'excitation. Tous deux ne comprenaient pas comment ils en étaient arrivés là... et il leur fallait cesser sur-le-champ s'ils ne voulaient pas le regretter. Dans quoi s'embarquaient-ils ?
Sergueï décida pour eux en franchissant le peu de distance qui les séparait encore. Ses lèvres, comme aimantées, se posèrent sur le front d'Iris, brûlantes et douces.
— Merci, dit-il simplement après s'être éloigné aussi furtivement que le vent.
La jeune femme ne l'entendit pas partir, sonnée. Un pincement tout à la fois douloureux et agréable chavirait son cœur, et elle préféra garder les paupières closes pour ancrer ce sentiment grandissant en elle. Elle colla son poing fermé à sa poitrine pour savourer cette douleur suave. Son cerveau, lui, susurrait impitoyablement que tout était faux et qu'elle souffrirait si elle se laissait aller à cette chaleur bienfaisante...
*
Sergueï marchait plus vite que jamais. Il évitait du mieux qu'il pouvait les personnes susceptibles de l'apostropher, leur répondant à peine quand elles s'y hasardaient effectivement. Il désirait rejoindre l'intimité de sa chambre au plus vite, encore estomaqué par ce qu'il venait d'oser. Se laisser submerger en public n'était pas dans ses intentions.
Il s'arrêta net quand il se rendit compte qu'il arrivait au bureau d'Ella. Passer comme un bolide attiserait sans aucun doute sa curiosité. En tant que réceptionniste, elle s'affairait à dénicher les potins, même si, dans sa grande mansuétude, elle se refusait à les diffuser. Le faucheur regretta de devoir passer impérativement par ce point névralgique pour rejoindre les dortoirs, mais se reprit vite : il apercevait d'ores et déjà le bout de ce terrible périple. Il lui suffisait de respirer un bon coup et...
— Pourquoi tu te caches derrière un poteau ?
Flûte. L'ouïe d'Ella était bien trop affûtée. À son poste, cela était nécessaire, mais pouvait parfois s'avérer fort agaçant.
— Je fouillais mes poches, je ne trouve plus mes clefs, mentit-il, en désespoir de cause.
Son interlocutrice fouilla dans un des innombrables tiroirs d'un meuble rouge placé derrière son bureau pour en sortir un trousseau.
— Antoine les a retrouvées devant ta porte. Tu devrais être plus prudent.
Sergueï écarquilla les yeux et se retint de tâter son jean là où elles auraient dû se trouver. Il n'avait pas cru si bien dire.
— Merci, Ella. Passe une bonne soirée.
Elle le considéra un instant, étonnée, puis lui sourit avec bienveillance, comme à son habitude. Ni une ni deux, le brun s'éclipsa, trop heureux de s'en tirer à si bon compte. Il atteignit sans encombre le mur le plus éloigné de cette pièce incroyablement longue, en face de l'entrée et derrière le bureau d'Ella. Il ouvrit la porte du dortoir pour hommes des faucheurs, la plus à gauche, et s'empressa de la refermer. Il dépassa une bonne vingtaine de portes dans un couloir longiligne interminable avant d'atteindre la sienne, immensément soulagé. Il put enfin glisser la clef dans la serrure et pénétrer dans son antre.
Sergueï s'écroula sur le lit qui trônait contre le mur d'en face en soupirant. Apprendre que la belle Iris dansait l'avait secoué. Il désirait ardemment la voir s'adonner à sa passion, les joues rougies par l'effort et le sourire aux lèvres. Ce baiser lui avait échappé, mais le faucheur songea que la jeune femme ne l'avait pas retenu. La séduire était peut-être bien la meilleure méthode pour parvenir à ses fins, après tout. Il tenta tout du moins de s'en persuader. Assurément, il maîtrisait le situation.
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Paradis perdu
ParanormalIris Lesbroufe est morte en se suicidant. Pour rejoindre les champs Élysées, elle doit se repentir de son acte, jugé répréhensible par les faucheurs. Sergueï Lace, une véritable terreur parmi ses semblables, n'aura de cesse de convaincre cette femme...