Sergueï se prépara en vitesse dès son réveil pour annoncer la nouvelle à Iris. Il ne prit pas la peine d'avaler quoi que ce soit et déboula dans le hall à grandes enjambées pour demander à Ella si la jeune femme était levée. La réceptionniste ignora cependant sciemment sa question pour lui apprendre une information qui chamboulait tous ses plans parfaitement orchestrés :
— L'inspecteur est là.
Ce fut la douche froide.
— Nous sommes perdus... souffla le faucheur, anéanti. Pourquoi devait-il venir aujourd'hui en particulier ? Tout aurait pu être réglé dès demain, se désola-t-il.
— Je t'avais prévenu. Il faut toujours se méfier des pépins.
— Tu ne m'aides pas, là, grogna Sergueï.
Ella haussa les épaules.
— Écoute, au fond, cela ne change rien. Tu n'as qu'à procéder comme à ton habitude juste devant lui, et tout expliquer à Iris ensuite.
— Tu oublies un détail, releva son interlocuteur en posant ses mains sur le bureau, comme pour s'empêcher de tomber. Le rapport.
La réceptionniste ne bougea plus d'un pouce, soudain inquiète, ce qui ne lui ressemblait guère.
— Qu'as-tu écrit ? demanda-t-elle simplement, d'ores et déjà à l'affût de la réponse du faucheur.
Ce dernier passa une main dans ses cheveux et tira impitoyablement sur quelques-unes de ses mèches, en proie à une angoisse indicible.
— Que les meurtres répétés et la séduction n'ont pas fonctionné. Et tu sais ce qui suit, dans ma procédure habituelle...
— Oh, merde, murmura l'imperturbable Ella.
*
Sergueï dut rejoindre les cachots où on procédait habituellement à ces inspections. Les faucheurs étaient isolés le temps que la personne en charge de la vérification arrivât. Cela permettait de limiter les fraudes, et cette procédure allait justement coûter cher au beau brun. Lui qui trouvait tout ce cirque ridicule devait bien reconnaître qu'il avait son utilité. Mais il ne pensait certainement pas que ce système le mettrait un jour au pied du mur.
Il parcourut du regard la cellule, et son attention se porta tout naturellement sur le coin gauche, comme aimanté. Il se rappela du baiser qu'il avait déposé sur le front d'Iris, incontrôlable mais terriblement doux. Il aimait tous les moments passés avec elle, quand cette dernière les exécrerait bientôt. Cette trahison lui remémorerait sans doute celle de son entourage et la jeune femme sombrerait de nouveau dans un chagrin sans nom.
Sergueï pensa cependant qu'il suffisait à Iris de résister à cette journée pour réaliser son souhait, même si elle l'ignorait. Elle n'irait ni au Tartare, ni à l'Élysée et se préserverait ainsi d'éventuelles mauvaises rencontres. Cela le soulagea, car il désirait son bonheur. La séparation n'était finalement que peu de chose, en comparaison.
Le faucheur se retourna quand il entendit des bruits de pas et tâcha de recouvrer son sang-froid promptement. Le moment fatidique était venu.
*
Iris arriva peu après, accompagnée par le stagiaire d'Antoine. Ce dernier observerait pour découvrir comment se déroulait une inspection. La jeune femme, quant à elle, n'avait pas encore été mise au courant de la situation et allait de surprise en surprise. La présence exceptionnelle de Lucas et le fait qu'il l'accompagnât à la cellule qu'elle croyait ne pas revoir de sitôt ne la rassuraient pas. Ce sentiment se renforça d'ailleurs quand elle constata que Sergueï n'était pas seul et ne semblait pas particulièrement heureux de la voir. Il ne lui sourit pas et évita même son regard.
— Bonjour, Madame Lesbroufe.
Un homme âgé et tiré à quatre épingles l'invita à entrer. Il dégageait une assurance et un professionnalisme déstabilisants.
— Bonjour, répondit lentement Iris, tâtant le terrain.
Elle pénétra dans le cachot avec la désagréable sensation de se jeter dans la gueule du loup. Mais courir dans la direction opposée ne l'aiderait pas davantage et elle s'efforça donc de paraître calme.
— Je suis ravi de vous rencontrer. Je me nomme André Pie.
— Moi de même, j'imagine, hasarda-t-elle en désespoir de cause.
L'expression sévère qui accueillit la remarque de la jeune femme lui fit regretter ses deux mots de trop. Elle se racla la gorge et utilisa Sergueï comme prétexte pour changer le tour désagréable que prenait la conversation en le saluant. Sans doute un peu trop gaiement, car le vieil homme haussa les sourcils. Décidément, André Pie ne semblait pas vouloir lui laisser de répit.
— Procédez comme à votre habitude, Monsieur Lace, ordonna finalement le terrible nouveau venu. Je n'interviendrai pas.
— Bien, Monsieur Pie, répondit dans le plus grand des formalismes le principal concerné.
— Je constate qu'il ne vous reste plus qu'une étape avant d'envoyer de force Madame au Tartare si elle refuse toujours de se repentir, remarqua l'inspecteur en parcourant le dossier d'Iris.
— En effet, acquiesça Sergueï.
— Vous avez tout le matériel nécessaire ?
— Oui, juste ici. Lucas, attache Mademoiselle Lesbroufe à cette chaise, s'il te plaît.
Le faucheur sortit d'une mallette en cuir une boîte assez conséquente. Il en extirpa une pince et Iris comprit ce qui l'attendait. Sergueï, l'homme dont elle avait eu la faiblesse de tomber amoureuse, comptait la torturer en lui arrachant les ongles un à un. Tout ce temps, il avait joué avec ses sentiments et elle avait eu la bêtise de le croire sincère. Elle en payait à présent le prix.
Eh bien, soit, elle résisterait. La jeune femme ne lui ferait certainement pas le plaisir de flancher. Elle n'avait plus que son entêtement pour elle mais cela lui permettait justement de garder la tête haute. Et ce n'était pas une petite séance de manucure aux Enfers qui allait lui faire perdre sa superbe.
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Paradis perdu
МистикаIris Lesbroufe est morte en se suicidant. Pour rejoindre les champs Élysées, elle doit se repentir de son acte, jugé répréhensible par les faucheurs. Sergueï Lace, une véritable terreur parmi ses semblables, n'aura de cesse de convaincre cette femme...