Ella s'empressa de mettre une main sur la bouche d'Iris pour la faire taire. De l'autre, elle tira l'ange tombé du ciel sur ses pieds. Son visage n'exprimait aucune émotion et son sang-froid ramena notre héroïne à la réalité. Tout était normal, a priori. « Pas de quoi s'affoler », se morigéna-t-elle. Il arrivait que des oiseaux tombassent du ciel, alors pourquoi pas un homme ? Aux Enfers, cela n'avait rien de surprenant.
Constatant qu'elle s'était calmée, la réceptionniste la libéra. Elle put ainsi concentrer toute son attention sur le nouvel arrivant qui recoiffait ses boucles blanches le plus sérieusement du monde. Iris le trouva pourtant fort jeune, mais se rappela les propos de Sergueï malgré elle : tous les anges paraissaient logés à la même enseigne, et le phénomène la déconcertait somme toute moins que les yeux rouges des faucheurs.
— Salutations, mes amies ! lança soudainement l'étonnant personnage qui leur faisait l'honneur de sa présence.
Il mima une révérence et manqua choir de nouveau, le sourire jusqu'aux oreilles. Si son air naïf étonna la jeune femme, il lui plut d'emblée, tout comme sa voix enfantine, très haut perchée. Ella, elle, ne semblait pas goûter la plaisanterie.
— Désolée, mon cher Oscar Bonara, mais le devoir m'appelle. J'aimerais faire vite.
— Oh, bien sûr ! s'exclama celui-ci, les yeux ronds comme des soucoupes. Qui avons-nous là ? s'enquit-il en désignant vaguement de la tête sa compagne.
— La fameuse Iris Lesbroufe, la présenta-t-elle.
— Enchantée, dit celle-ci sincèrement.
— Moi de même ! Oh, mais...
L'ange s'interrompit en remarquant l'état des mains de son interlocutrice. La compassion se lut sur son visage aux traits poupins.
— Montrez-moi vos doigts, ma belle.
La principale concernée demeura circonspecte un instant, puis s'exécuta, un brin curieuse. Oscar grimaça puis positionna une de ses mains au-dessus de celles d'Iris, paume tournée vers elles. Il fit de même avec la deuxième, mais la plaça en-dessous. La jeune femme crut alors voir des entrelacs de multiples couleurs se dessiner sous les doigts en mouvement de cet homme étrange. Elle assistait à la création d'un tableau de l'impossible, qui évoluait de lui-même à chaque instant mais se pliait aussi, elle le devinait, aux instances de son talentueux maître peintre.
Notre héroïne, captivée par ce spectacle, oubliait sa douleur, qui en profitait pour s'échapper tout naturellement. Une graine germant apparut alors au centre de l'œuvre et poussa de manière accélérée en même temps que les ongles d'Iris. Le processus achevé, une rose violette sublime s'épanouit, mais, éphémère, elle retourna aussitôt au néant. L'ouvrage de l'ange l'accompagna bientôt dans sa totalité, si bien qu'il n'en demeura pas trace. Oscar, quant à lui, retrouva promptement sa maladresse habituelle : il évita de justesse de cogner sa patiente au moment de s'en écarter. Assurément, l'habit ne faisait pas le moine.
La jeune femme s'empressa de le remercier, émerveillée par cet incroyable phénomène. Elle garderait à jamais des cicatrices psychiques, mais son corps, lui, était guéri, ce qui la soulagea immensément.
— Ce n'est rien, ce n'est rien, répéta, l'air gêné, son sauveur. Je n'ai fait qu'exercer mon art, ajouta-t-il modestement.
— C'est de la magie ? le questionna Iris.
— On peut l'appeler de cette manière, oui. Mais vous en apprendrez plus par la suite, jeune demoiselle. Pour le moment, nous devons partir.
En prononçant ces mots, il se tourna vers Ella, qui se retenait visiblement de piétiner d'impatience.
— Nous ne vous importunerons pas plus longtemps. Dites à Sergueï que Laszlo rejoindra bientôt le conseil, malgré nos efforts draconiens pour l'empêcher...
La réceptionniste se contenta de hocher la tête, même si cette nouvelle l'alarmait. Elle s'adressa ensuite à notre héroïne, qui observait l'échange sans comprendre :
— N'oublie pas que tu peux m'appeler en cas de besoin et fais attention à toi, d'accord ? À bientôt, Iris.
— Merci, Ella. À la prochaine.
Celle-ci pensa que ce n'était pas à elle que cette marque de gratitude devait être adressée, mais se tut. Sergueï avait été clair : « Ne lui en dis pas un mot. Elle refuserait ton aide, têtue comme elle est ». Elle se retint de soupirer. Avec lui, les événements les plus anodins ne manquaient jamais de se compliquer. Heureusement, elle veillait.
Oscar attrapa les mains d'Iris et se prépara à l'envol. Le trajet lui serait difficile, ainsi lesté, mais son entraînement régulier lui permettrait d'arriver à bon port sans anicroche. Il battit des ailes frénétiquement, tirant sur les muscles de son dos. Il n'omit pas de vérifier qu'il tenait bien la jeune femme avant de s'élever petit à petit dans les airs. Celle-ci, par peur de tomber, fermait les yeux obstinément. Ses mains moites ne facilitaient pas cette délicate entreprise et très vite, l'ange dut coller Iris contre son torse pour la maintenir plus facilement. Il eut peur qu'elle battît des pieds, emportée par la panique, mais elle préféra au contraire accrocher solidement ses jambes à ses hanches. En temps normal, notre héroïne eut rougi de cette position, mais les circonstances, exceptionnelles, la justifiaient amplement.
Le trajet parut à la fois interminable et très court à Iris. Ils filaient à la verticale et le vent les cinglaient violemment, comme pour mieux les repousser. Mais la jeune femme, qui avait finalement rouvert ses paupières, distingua bientôt une large plate-forme qui flottait dans le ciel, au gré des caprices du temps. Le spectacle, irréel, la ravit et l'inquiéta tout à la fois. Elle ne connaissait rien de cet univers mais allait devoir le découvrir avec plus de célérité que n'importe qui.
À mesure que les deux compagnons se rapprochaient de leur destination, Iris notait de plus en plus de détails. Il s'agissait là d'une ville médiévale aux dimensions gigantesques et au charme inattendu. Oscar plana bientôt, annonçant par là même la fin du voyage. Ils surplombaient un parc de bonne taille, entouré de nombreux bâtiments dont la modernité tranchait avec les constructions alentour. De nombreuses personnes y évoluaient et la jeune femme se sentit d'emblée perdue.
— Prête ? demanda le professeur.
— Prête, confirma-t-elle en déglutissant bruyamment.
Il sourit, entama la descente en douceur, puis perdit le contrôle... et ils s'écrasèrent violemment dans l'herbe, soignant l'entrée d'Iris à l'UDA, l'université des anges.
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Paradis perdu
ParanormalIris Lesbroufe est morte en se suicidant. Pour rejoindre les champs Élysées, elle doit se repentir de son acte, jugé répréhensible par les faucheurs. Sergueï Lace, une véritable terreur parmi ses semblables, n'aura de cesse de convaincre cette femme...