X-Un ange passa

112 19 70
                                    

Le lendemain, Iris se réveilla dans sa cellule. Auparavant, cet espace réduit ne la dérangeait pas outre mesure. À présent, elle y associait les pires atrocités. Le simple fait de se trouver là où avait giclé son sang rendait son corps tout tremblant. La chaise sur laquelle Lucas l'avait immobilisée se dressait toujours au centre de la pièce, dominatrice.

La jeune femme ferma les yeux pour ne pas voir ce décor infernal, mais son esprit reconstitua aussitôt la scène avec une précision dantesque. De plus, ainsi, elle sentait davantage la douleur puisque ses autres sens prenaient le dessus. Mais Iris préférait presque cela. La vue rendait tout plus réel, elle confirmait que les événements de la veille avaient bien eu lieu. Et l'aspect de ses doigts suffisait à l'écœurer.

Elle voulut chanter pour s'enfermer dans son monde, puis se rappela que ses cris déchirants lui avaient ôté l'usage de sa voix. Elle n'avait même pas entendu les questions qu'on lui posait tant ses oreilles bourdonnaient. Mais c'était pour le mieux, puisqu'elle désirait résister.

Iris décida finalement de se lever pour s'asseoir sur le sol froid, devant les barreaux. Ici, le décor l'accablait moins, même si elle devait toujours se retenir de baisser les yeux sur ses mains.

Depuis cette position, elle put remarquer l'entrée d'Ella dans les cachots. Celle-ci la rejoignit, ouvrit la porte sans un mot et l'enlaça dès qu'elle entra, doucement par peur de décupler ses douleurs. La captive, qui ne s'attendait pas et n'espérait plus telle marque de tendresse, fondit aussitôt en larmes. Elle n'osait cependant pas rendre son étreinte à la réceptionniste, préférant restreindre drastiquement l'usage de ses doigts en lambeaux.

Ella s'écarta quelques instants plus tard pour la dévisager, l'air sincèrement inquiet. Notre héroïne tâcha de lui sourire vaillamment, mais ses lèvres, prises d'un sursaut nerveux, se tordirent. Ses sanglots affluèrent de plus belle. À l'issue d'une nouvelle étreinte réconfortante, la visiteuse dévoila enfin la raison de sa venue :

— Iris, je peux t'aider à ne pas aller au Tartare.

La principale concernée ne réagit pas. Il était difficile pour elle de croire en quoi que ce fût après l'amère trahison de Sergueï, même si l'affirmation d'Ella allécherait n'importe quel mort.

— Écoute au moins ce que j'ai à te dire, d'accord ? insista celle-ci.

— Bien, dit simplement la jeune femme d'une voix d'outre-tombe qui fit de la peine à son interlocutrice.

Elle se lança malgré tout dans ses explications pour ne pas perdre de temps :

— Je peux te mener à un professeur qui s'occupe de former les anges. Au Paradis, crois-moi, tu ne risques pas d'être dérangée par d'anciennes connaissances. Ils sont très à cheval sur les admissions, et je doute qu'un entourage comme le tien les intéresse. Tu seras livrée à toi-même, en revanche.

Iris ricana tout bas pour épargner sa gorge.

— Tant mieux.

La réceptionniste des Enfers la considéra un instant. Elle songea qu'au moins, elle était prête à tout pour partir. Cependant, garder trop de rancœur envers les autres pourrait lui porter gravement préjudice, surtout dans un lieu où on lui apprendrait les bienfaits de la gentillesse. En toute hypocrisie, évidemment, mais tout de même.

— Tu devras faire bien attention, la mit en garde Ella. Beaucoup d'anges risquent de refuser ta nomination à ce poste. Cela n'aurait sans doute pas été possible sans mes liens avec un de leurs enseignants, qui a d'ailleurs plutôt mauvaise réputation. Attends-toi aux pires remarques et coups fourrés de la part de tes camarades. (Son auditrice acquiesça.) En ce qui concerne les cours, tu peineras sûrement, mais tu dois absolument réussir les examens. Au bout d'un redoublement, tu seras renvoyée aux Enfers, comme tous les autres étudiants. Ils désirent former un groupe élitiste, ce qui explique leur recours à cette méthode aberrante... Ils ne donnent de deuxième chance à personne, et ce sera sans doute d'autant plus vrai pour toi.

— Je n'ai jamais eu de problème avec les cours, ça ira, affirma Iris.

— N'en sois pas si sûre, jeune fille, la tança sévèrement son interlocutrice. Les matières du Paradis n'ont rien à voir avec ce que tu as l'habitude d'apprendre.

Notre héroïne haussa les épaules. Elle n'avait pas vraiment le choix, de toute manière. Elle travaillerait plus que tous les autres et cela s'avérerait forcément efficace.

— Je crois que je t'ai tout dit. Prends ceci.

— Un téléphone préhistorique ? ironisa Iris en observant l'objet posé dans sa paume.

— Un téléphone magique, rectifia Ella. Utiliser le réseau pour joindre les Enfers depuis le Paradis est encore utopiste.

— Sans blague.

— Personne ne doit savoir que tu en as un, la mit-elle en garde. J'y ai enregistré mon numéro. N'hésite pas à me joindre au moindre problème. Maintenant, viens, nous sortons.

La réceptionniste tut le fait qu'elle avait aussi ajouté les coordonnées de Sergueï à l'appareil. Son interlocutrice le découvrirait en temps voulu.

Les deux femmes se rendirent dans le jardin, bien qu'Iris ignorât pour quelle raison. Son accompagnatrice semblait cependant sur le qui-vive, et elle s'abstint donc de l'interroger par souci de discrétion. Aider quelqu'un à s'échapper des Enfers n'était sans doute ni commun, ni apprécié de ceux qui tiraient les ficelles. Notre héroïne devina qu'Ella risquait gros et une vague de reconnaissance la submergea. Mais pourquoi la soutenir alors qu'elles ne se connaissaient pas, ou si peu ? Son expérience lui soufflait qu'il lui valait mieux rester sur ses gardes.

Elles marchèrent à vive allure dans l'herbe, profitant de la protection que leur offraient haies et arbustes en tout genre. Elles ne s'arrêtèrent qu'après s'être significativement éloignées et s'abritèrent derrière un chêne de bonne taille.

— Il m'avait promis d'être ponctuel, grogna Ella. Je risque ma place, moi !

C'était bien là ce qui intriguait Iris, mais elle resta coite, en proie à une étrange phobie des interrogatoires. De toute manière, les deux compagnes ne tardèrent pas à être interrompues par un drôle d'oiseau. D'ici, il paraissait étonnamment dodu, mais la jeune femme mit cela sur le compte de sa mauvaise vue. À mesure qu'il se rapprochait, comme attiré par le mouvement des deux femmes, notre héroïne commença de douter. Ce volatile n'était-il pas doté de jambes et de bras ? Iris remettait en cause sa santé mentale lorsqu'un bruit retentissant la fit sursauter. Elle baissa les yeux et découvrit un homme, face contre terre, de superbes ailes dorées déployées dans son dos. Il battait misérablement des pieds pour une obscure raison. C'en était trop : notre héroïne éclata d'un rire dément qui effraya de véritables oiseaux perchés sur leur branche.

Paradis perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant