DEMENCIA Heureux celui qui ignore

3 / Apprentissages

Au matin, la pluie cessa. Tel le déversement d'hier soir dans l'esprit de Marinette, la nature, comme elle, avait fait peau neuve. Pourvu qu'il en soit ainsi, pensait Naja. Elle avait bien réfléchi et elle se devait de transmettre ses connaissances. Et pour la petite, puisque la vie ne lui avait pas donné d'attaches, il n'était jamais trop tard pour en créer. Elle appréhendait un peu sa réaction et s'était maintes fois demandé comment aborder le sujet. Marinette se leva et elle lui offrit une tasse de tisane.

- Tu as bien dormi ?

- Oui, très bien merci et vous, maîtresse Naja ?

- Seulement Naja, si tu veux bien. Pour ma part, je n'ai pas beaucoup dormi. J'ai pensé à ton histoire et elle m'a fait découvrir pourquoi en quelque sorte nous nous sommes rencontrées. La prophétie dont je te parlais connaît la suite de nos histoires. Écoute.

S'apprivoiser en échanges

Et se donner une chance,

L'une au début de son histoire

L'autre à son au revoir

Je voudrais, si tu le souhaites, essayer de te donner ta chance. Je veux dire par là qu'il est temps pour moi de léguer mon savoir. Ta venue ici n'est pas le fruit du hasard. Certes, je ne pourrai jamais remplacer l'amour inconditionnel d'un parent, ni effacer tes cicatrices, mais je te propose de partager ma richesse, la seule que je possède et qui me porte chaque jour. Je puise mon énergie dans mes découvertes et mon bien-être en comblant ma curiosité. Je pense qu'il y a en chacun de nous un potentiel et je me propose de t'aider à le développer et à voir plus loin. Qu'en penses-tu ?

Marinette émue, n'en revenait pas. Le moment arrivait enfin et quelqu'un lui proposait de lui donner sa chance et surtout de lui faire confiance, pensa-t-elle. Elle se rappelait hier soir, songeant au désert qu'était sa vie. Une aventure folle lui tendait les bras et un formidable sourire illumina son visage.

- Quand commence-t-on ? demanda-t-elle.

Naja ne pouvait pas espérer mieux. L'apprentissage pouvait débuter. Prenant son rôle très à cœur, elle se prépara pour exposer son plan à son élève

- Je vois que tu es motivée et c'est un très bon début. Je t'accompagnerai du mieux que je pourrai. Dans un premier temps, nous allons étudier les carnets et les croquis. Mais la théorie ne vaut rien sans la pratique et chaque savoir étudié devra être mis en œuvre afin d'en comprendre les bienfaits et les limites. Il te faudra t'armer de patience et travailler dur afin de connaître l'usage des simples, leurs propriétés, sans parler des recettes. Mais un bon guérisseur doit aussi connaître le corps humain et essayer d'en comprendre les rouages. Malgré mes années d'études et de pratiques, certains points restent encore secrets pour moi. Ensemble, nous pourrons nous seconder et ainsi jamais ces connaissances ne tomberont dans l'oubli.

Après ce discours enflammé, elle marqua une pause, les yeux dans le vague. Marinette, elle, les baissait. Comment lui avouer qu'elle n'avait reçu aucune éducation ? Le travail était colossal et elle ne s'en sentait vraiment pas capable. D'un coup, effrayée, elle se leva et dit :

- J'ai changé d'avis, je suis très bien comme cela.

Et elle partit, laissant Naja plantée au milieu de la pièce. Honteuse, elle se réfugia près du ruisseau pour réfléchir. Lorsque Naja avait exposé son projet, son cœur s'était mis à bondir dans sa poitrine, excitée à l'idée de participer à quelque chose qui en valait la peine. Mais face à l'étendue de son ignorance, elle avait préféré baisser les bras. Elle devait se faire une raison, elle ne savait ni lire ni écrire et sa seule éducation se limitait à l'obéissance. Est-ce ainsi qu'elle voulait être ? Ecrasée sous ses faiblesses et lâche, en plus, de ne pas les avouer. Est-ce une personne comme cela qu'elle voulait devenir ? Sa vie était nouvelle désormais et elle se devait de réfléchir autrement. Quitter sa peau de petite servante et endosser son habit de jeune fille libre. Le travail ne lui faisait pas peur, mais elle doutait de ses capacités. Sa pensée dévia alors vers la prophétie. Ces mots inconnus lui parlaient de façon familière et la guidaient dans ses décisions. Elle ne pouvait laisser passer cette aubaine. Ne dit-on pas que la première impression est souvent la meilleure ? D'un pas décidé, elle remonta la petite colline vers la cabane. Elle trouva Naja dans le jardin, occupée à prendre soin de ses plantes. Tout était serein, en cette journée d'automne. Marinette s'approcha doucement.