7 / Entrer dans la danse

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C'était jour de conseil au château ; le comte et ses conseillers passaient en revue les sujets du jour. Dans la grande salle à l'étage, toute tendue de tapisseries de scènes bibliques, autour de la table cirée, les décisionnaires de Demencia débattaient, sous le regard attentif du scribe. Acquittement des taxes, chantiers en cours, état des stocks et bien sûr politique étaient passés au peigne fin. Un de ses conseillers, l'honorable Notadis, prit la parole vers la fin de l'entrevue, lors des questions diverses. Il se leva de son siège et lissa son costume avant de parler.

- Cher comte, il m'a été rapporté, tôt ce matin, qu'un homme sème le trouble au sein de la communauté. Dans la nuit, il est sorti de chez lui criant dans les rues qu'une sorcière avait fait mourir sa femme et il en appelle à votre aide. Il demande vengeance et déambule tel un fou racontant son histoire à qui veut l'entendre. J'ai jugé bon de vous en tenir informer car je connais votre attachement aux lois de l'Église et votre bataille contre les hérésies et leurs dérives.

Tous les regards se tournèrent vers lui et le silence s'abattit sur la pièce en attendant la réaction du principal intéressé. Droit dans son imposant fauteuil en bout de table, le comte, les tempes grisonnantes, n'avait rien perdu de son charme d'antan. Il sourit ironiquement.

- Mon cher Notadis, il est vrai que j'exècre les hérétiques et un monde assaini de ces suppôts de Satan est mon idéal. Néanmoins, cette nouvelle m'interroge. A-t-il des preuves de ce qu'il avance ? Peut-on faire confiance à un homme en proie au désespoir d'avoir perdu sa femme ?

Magèr, l'aîné du comte, se leva et ne put s'empêcher d'intervenir.

- S'il y a une sorcière parmi nous, je la trouverais et la ferais brûler vive. Nos ouailles ne doivent pas être pervertis, et cela j'en fait mon affaire.

Le comte stoppa le début de son discours frénétique en levant la main et regarda avec insistance Notadis, attendant une réponse de sa part.

Le notable, intimidé, se gratta la gorge avant de répondre.

- En réalité, sa femme est morte des suites d'une maladie. Mais d'après ses voisins, deux femmes ont été aperçues lui rendant visite alors que le père de famille était absent. A la dernière de ses visites, la femme est décédée dans la nuit. Elles ont laissé une poule et quelques sachets d'herbes sèches.

Après un instant de réflexion, le comte répondit :

-Il ne s'agit que de rumeurs mais je ne puis tolérer que cela sème le trouble en notre paisible cité. Je vous charge donc d'enquêter sur cette affaire et de me tenir prestement informé. Démêlez le vrai du faux, interrogez cet homme et faites le bien puisque cette histoire a l'air de vous tenir à cœur, termina-t-il d'un regard suffisant. La séance est levée, messieurs.

Notadis ne put que se fendre d'une courtoise révérence. Mais pourquoi n'avait-il pas tenu sa langue ?

Dans l'assemblée qui sortait, il devinait les murmures sur lui. Cet incident n'était pas anodin, il le sentait. Il sortait du lot. Il devait trouver un allié. Un allié avec un certain pouvoir de décision, et il était tout trouvé : le fils aîné du comte, Magér. Sa prise de position lors de l'assemblée le réconfortait dans cette idée. Il pourrait lui amener la chose comme une forte prise d'initiative de sa part que son cher père apprécierait. Il se souvenait : Depuis tout petit déjà, il ne cessait de vouloir l'impressionner mais il recevait toujours un retour glacial. Le jour de ses 15 ans, son père lui ordonna de rentrer dans les ordres tel que le voulait la tradition. Le jeune homme vindicatif et prétentieux qu'il était, partit et comme le souhaitait son père, il revint en ecclésiastique modèle. Le comte Gaspejar avait tout prévu pour lui. Il chapeauterait le monastère et l'église de Demencia. Il aurait alors la main basse sur la noblesse et le clergé. Il avait bien joué son coup. Magér n'était rien d'autre qu'une marionnette. Frustré par ses 10 années de monastère, il était devenu terriblement aigri et sans cœur. Ses homélies faisaient froid dans le dos et sa dévotion ne connaissait ni le pardon ni la miséricorde. Sa soif de pouvoir n'avait pas de limites.

DEMENCIA  Heureux celui qui ignoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant