Chapitre 2: La relève saisonnière.

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Lorsque je me réveille, Moly dort encore profondément. Je lance un regard vers ma petite horloge au mur : sept heure trente-sept. Me faisant la réflexion que ça explique pourquoi je suis la seule à ouvrir les yeux, j'enfile le plus discrètement possible un jean et un t-shirt. En descendant les escaliers pour me rendre dans la cuisine, je croise mon frère, des valises – qui ressemblent plutôt à la soute à bagage entière – sous les yeux.

- Tu rentres seulement ? lui demande-je d'un ton amer.

- Pas tes affaires, rétorque-t-il sans même s'arrêter.

Je lève les yeux au ciel et continue mon chemin. Mon père et ma mère sont assis autour de la table. Comme à leur habitude, ma mère sirote son café dans le silence le plus royal, et mon père gribouille sur son carnet. A chaque fois que je les vois répéter les mêmes schémas de vie, je me surprends à trouver ça fascinant, l'idée qu'on puisse connaitre les petites manies de l'autre au bout de plus de trente ans de mariage et pourtant continuer à les apprécier comme le font mes géniteurs. C'est comme si chaque fois, même avec le temps, ils redécouvraient ça et se disaient « ça me va ! ». Mon père sait que ma mère doit d'abord boire son café sans que personne ne pipe mot, et ma mère sait qu'il adore gribouiller des petites maximes sur son carnet aussi vieux qu'Érode. Alors chacun laisse à l'autre son petit espace, presque comme un rituel journalier, tout en sachant que résonne en ça, l'équilibre de leur amour qui traverse le temps sans averse – ou presque.

Mon père me regarde par-dessus ses lunettes et me sourit. Je viens me placer derrière lui pour l'embrasser sur la joue, mes mains lui tenant les épaules. Et comme chaque matin, mon rituel à moi, c'est de l'enlacer quelques secondes et lire ses petits mots du matin par-dessus son épaule.

Doucement, il me demande comment je vais et si ma soirée était bien. Je hoche la tête et lui raconte alors que Moly et moi avons été raccompagnées par une amie car Moly ne se sentait pas de prendre le volant, trop fatiguée par la soirée – bourrée en réalité, mais ça, il n'est pas obligé de le savoir. D'un ton bienveillant, il me dit qu'on a bien fait. Nous jetons un petit coup d'œil vers l'ours à ses côtés, qui commence peu à peu à ressembler à ma douce mère plus le liquide marron présent dans sa tasse est ingurgité. On sait tous deux qu'il faut la laisser nous parler en première, que c'est le top signal, alors on continue à échanger doucement sur les choses à faire aujourd'hui à la ferme.


- D'ailleurs, en parlant de ça, dit-il sans lever le nez de son carnet, on va avoir de l'aide cet été.

- Oh ? Mon très cher frère compte répondre à ses engagements ? m'exclame-je sarcastique tout en beurrant un muffin.

- Chérie... souffle-t-il. Tu te souviens de Fred Verno ?

Réfléchissant un instant, je marmonne son nom sans qu'il ne m'évoque quelque chose.

- Nop, inconnu au bataillon.

- Il tenait la ferme à la sortie de la ville quand tu étais plus jeune, ça fait un moment remarque... toujours est-il qu'il a un neveu.

Il marque une pause, se grattant le haut du crâne avec son stylo, un air contrarié sur le visage. Je bois mon café, appuyée contre la gazinière, le regardant réfléchir avec sérieux. Au bout de quelques secondes il semble avoir trouvé le mot qu'il cherchait car je le vois griffonner quelque chose.

- Hm... il a un neveu, reprit-il, d'à peu près ton âge je crois, il me l'a dit mais je ne m'en rappelle plus. Enfin, il m'avait passé un coup de fil en avril pour mon anniversaire et à force de discussion, le vieux Fred m'a demandé comment ça se passait pour nous. De fil en aiguille, on en est venu à dire que c'était compliqué sans main d'œuvre mais qu'on s'en sortait. Alors il a proposé les services de son neveu.

Summer nights.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant