Partie VII : Les Étoiles Vagabondes - Chapitre 1 : De mon mieux

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Ça avait commencé par la sonnette qu'il venait tout juste de réparer. Ils n'y avaient pas plus porté attention que ça, pensant que c'était Sneazz qui se ramenait pour grailler. C'était le seul qui ne toquait pas à la porte. Alors, ils ne se méfièrent pas une seule seconde.

Il était midi, elle était en train de découper un melon. Dans l'appartement, régnait le plus souvent un calme religieux. Ils n'avaient pas besoin de beaucoup se parler - parce que la plupart du temps, ils se comprenaient par leurs regards - même s'ils avaient toujours besoin de discuter avant de s'engager dans quoique ce soit.

Il lisait et cela l'étonnait lui-même. Mais depuis qu'il avait monté les bibliothèques dans le salon, il était intrigué par tous ces livres qu'elle avait dû lire une bonne dizaine de fois.

Alors, elle alla ouvrir naïvement, la cuisine étant plus proche de l'entrée que le salon dans lequel il se trouvait. Dans l'appartement, ils avaient vu sur toutes les autres pièces.

Mais elle se retrouva en face de son pire cauchemar. « Bienvenue en enfer », avait-elle déclaré un soir dans le bus, quand ils parlaient de leurs rents-pa. « Ce sont tes monstres ? », lui avait demandé son frère. « Non, les monstres. Je ne veux plus avoir cette appartenance. ».

« Nous pensions pas que ta sonnette marcherait, tu as toujours été d'une de ces négligences. ». Une voix de femme. Agressive, attaquante, irritante.

Dans son cerveau, Tarik passa en une seconde en mode défense. Déjà, le langage était inhabituel. Il était bourré de fautes grammaticales et cela le dérangeait depuis qu'elle avait l'habitude de les reprendre. Le « Bonjour » inexistant, la négation omise et le verbe « marcher » qui ne fonctionnait pas dans ces cas-là étaient des preuves qu'il ne se trompait pas : pour lui parler comme ça, il n'y avait qu'eux. Parce qu'il était impossible d'être aussi méchant avec elle, elle qui était toujours gentille et disponible avec chaque être qu'elle rencontrait. Il savait qu'il devait intervenir parce que c'était son rôle, mais il devait attendre encore un petit peu, parce qu'elle lui avait déjà dit qu'elle essayerait de s'en sortir seule, même s'il n'y croyait pas une seule seconde. Parce que depuis des années, elle avait déjà tellement encaissé....

« Tellement conne que tu mets ton nom sur la boite aux lettres. ». Le ton de cette femme était insupportable. Il commença à serrer le poing pour éviter de se lever et de lui en coller une.

Mais elle répliqua d'un ton froid et sec : « Qu'est-ce que vous faites ici ? ». Malheureusement, elle n'arrivait pas à être insensible. Il était absolument indispensable qu'elle résiste.

« Reprendre ce qui nous appartient. ». Une voix d'homme cette fois-ci. Il ne comprit pas : « Mais reprendre quoi ? », pensa-t-il. Tout lui appartenait : ses vêtements, ses chaussures, ses lunettes, jusqu'à l'élastique dans ses cheveux. Et maintenant qu'ils étaient mariés, ils partageaient tout.

« Regarde-toi, tu as l'air toujours aussi niaise, mais au moins, tu as l'air blindée. Elle vient d'où toute cette richesse dans l'appartement ? Tu fais la pute ? ». Même lui eut un choc.

Ces paroles le transperçaient par leur violence et surtout par leur mensonge. C'était le signal. « C'est qui ? ». Il avait pris sa voix la plus grave et décida de rester habillé comme il l'était.

D'un simple short. Muscles saillants, regard impardonnable. Et quand il passa devant le miroir du salon, il reconnut le Tarik d'il y a des années, le trafiquant, avec cette même attitude.

Quand il arriva dans l'entrée, il eut presque envie d'avoir un rire mauvais devant le spectacle grotesque qui se jouait entre elle qui essayait de rester digne, alors qu'elle avait déjà commencé inconsciemment à recourber les épaules, avec toujours son couteau à la main et entre deux personnes qu'il trouva encore plus paumées que ses vieux.

« Bonjour, un problème ? Je suis Tarik, son mari. Vous cherchez quelque chose ? Demandez-moi directement. ». Il la prit par les épaules et sentit qu'elle commençait un peu à être soulagée.

« Non. Nous nous sommes trompés de porte. ». C'était l'homme qui avait parlé, pendant que la femme le dévisageait de haut en bas. Il sentait la pression monter. Il fallait qu'elle le retienne.

« Menteurs. ». Et cette fois-ci, elle avait pris un ton qu'il ne lui connaissait pas encore, entre peur, courage et fierté. Elle venait de décider de ne pas se laisser faire. Il lui prit la main.

« T'as épousé une racaille ? Un arabe ? Comment ça se fait que t'es pas encore voilée et que t'aies pas dix gosses ? ». La femme venait de déclarer la guerre. Alors, il se contrôla pour ne pas faire du mal à l'homme qu'il venait de bloquer contre le mur.

« Oui, elle a épousé un musulman mais c'est vous qui êtes irréfléchis à faire des amalgames sur tout. Partez et ne revenez plus jamais. ». Il pensait avoir tellement d'autres choses à dire car comme toujours, il avait déjà préparé toutes les phrases au cas où ils reviendraient. Mais quand il voyait sa femme en détresse, il perdait ses moyens. Il lui était impossible de la voir ainsi. Il voyait qu'elle se contrôlait pour ne pas pleurer, ne pas trembler et surtout rester digne.

« Ça va pas se passer comme ça ! ». La femme était devenue une furie, s'était transformée en folle. Hors de contrôle, elle mit un coup de pied violent dans le porte-parapluie en verre qu'ils avaient dans le couloir. Il n'avait aucune valeur et il ne savait même pas d'où il provenait, il avait toujours été là. Mais le voir se briser dans la cage d'escalier le mit en rogne.

Il allait s'énerver mais avant qu'il puisse le faire, ils disparurent à toute vitesse mais non sans bruit. La voisine d'en face venait d'ouvrir sa porte, effrayée par le bruit qu'il venait d'avoir. En aucun cas elle ne les jugea. Au contraire, elle revint avec un balai et une pelle. Cette dernière savait que le couple n'en n'avait pas, car les jeunes préféraient la praticité de l'aspirateur. Nora, cette grand-mère algérienne par excellence, savait tout d'eux. Parce qu'elle avait vu grandir Tarik et surtout, elle écoutait avec douceur sa femme quand elle venait prendre le thé.

« Merci Nora. Excusez-nous pour le dérangement, il y a eu un petit contretemps aujourd'hui au programme. ». Elle venait de dire ça alors qu'elle commençait à s'accroupir sur le sol jonché de débris. Elle avait posé son couteau et ses mains tremblantes trahissaient ce qu'elle ressentait.

Elle ne pleura pas pendant qu'ils ramassèrent et nettoyèrent. Tout s'était passé très vite mais il avait l'impression d'avoir vécu la scène au ralenti. Il arrêta de penser quand elle jeta les bouts de verres. Elle ferma le sac poubelle et le mit à côté de la porte d'entrée, avec la pelle et le balai.

Comme à chaque fois où elle ne se sentait pas bien, elle s'assit sur le banc de la table dans la salle à manger, recroquevilla ses jambes contre sa poitrine et calla son dos contre le mur avec comme seul confort un coussin qui lui protégeait le cou.

Maintenant, il savait ce qu'elle allait faire. Elle allait s'enfermer dans son mutisme. Et quand elle était silencieuse à vouloir refuser de se confier par peur de déranger, il avait envie de tout casser de rage. Parce que dans ces moments de profonde solitude, il ne reconnaissait pas la femme aimante dont chaque soir, il mesurait la chance de dormir à ses côtés. Parce que son cœur était brisé quand il la voyait comme ça.

Elle allait passer des heures avec son regard mélancolique devant la fenêtre ouverte à scruter l'horizon, à profiter de chaque brise de vent et à écouter les bruits de la cité. Il savait que même s'il allait la voir pour la prendre dans ses bras, elle ne dirait rien. Par fierté, peut-être même par honte. Il fallait alors qu'il agisse, parce que dans ces moments-là, seul, il ne savait pas encore à la faire sortir de son silence dont il était impensable qu'il dure. Elle avait aussi besoin de chacun. Alors, sans aucune hésitation, il prit son portable et envoya un message d'urgence groupé.

Tout ce qu'elle leur a appris - PNLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant