Nietzsche et Camus (I)

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La cloche a sonné il y a un bon quart d'heure. C'est la pause déjeuner.
Je n'ai pas faim.

Je suis dans la classe, seul, L'Etranger ouvert sur mes genoux.

J'aime bien la littérature étrangère. A quatorze ans, je me suis mis à dévorer Schopenhauer, Ionesco, Nietzsche, Kafka, Borges, Sartre, Camus.

Savez-vous ce que réunit ces auteurs ?
La monstruosité.

Par monstruosité, entendez "absence d'humanité".
A en croire ma professeure de littérature -qui est une abrutie-, sa matière est grande par son humanité. Elle nous apprend à connaître, comprendre l'homme. A grandir comme si nous avions vécu tous ces scénarios. A être sages et bons. A apprendre à porter un jugement et savoir prendre les bonnes décisions.
Comme je l'ai dit, c'est une abrutie.

Désolé Saint-Exupéry, mais je n'en ai rien à faire de connaître l'Homme. Je ne dis pas que Terre des Hommes n'est pas une œuvre admirable. Seulement je n'en ai strictement rien à foutre.

Borges, c'est autre chose. Dans La Demeure d'Astérion, il ne viendrait à personne l'idée de s'attacher au Minotaure. Ni d'ailleurs d'en tirer de grandes leçons sur l'humanité.
Dans Deutsches Requiem, nul n'est assez fou pour trouver admirable le nazi unijambiste. Ni digne de pitié.

Il les évoque avec génie, met dans leur bouche des phrases à en cogiter toute son existence, mais n'en fait pas des humains. Ce sont des monstres.

De même pour Sartre. Je crois que le personnage d'Erostrate est un exemple flagrant de monstre.

Kafka ou Ionesco peignent des personnages plus humains peut-être, mais entre une vermine dans La Métamorphose et l'homme qui regrette de ne s'être point transformé en rhinocéros pour le roumain, nous restons dans des personnages auxquels je peux m'identifier. Il y a un côté jouissif à cela.

Je ne suis pas les normes de votre putain de société. Je suis un personnage de Borges. Je suis un personnage de Sartre. Et vous me dégoûtez, simples humains.

Je suis un monstre. C'est vous qui l'avez décrété, vous et vos normes idiotes. Et devinez quoi ? Cela me réjouit au plus au point.
《Ceux qui luttent contre des monstres risquent d'en devenir eux-mêmes. Quand tu regardes le fond de l'abîme, le fond de l'abîme aussi regarde en toi.》
Si vous vous n'êtes pas des monstres, si vous êtes des gens bien comme il faut, c'est que vous n'avez pas lutté contre vos monstres. Vous les avez planqué dans l'armoire, cette armoire dans lesquelles vous croyiez en voir quand vous étiez enfant. Et vous aviez raison, ils étaient là, ils le sont toujours, à guetter un instant de faiblesse.
Ou alors, pire encore, vous n'avez pas de démons. Alors vous n'êtes rien. Puisque vous n'avez pas lutté, vous ne vous êtes pas donné la chance d'exister. Vous vous contentez d'être.

Camus a été mon déclic. J'ai lu L'Etranger quatre fois déjà, même si maintenant je saute son idylle avec Marie.

Ma fascination pour cette œuvre tient en une phrase :
《Dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort. 》

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