Un petit bout de parapluie (V)

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C'est bizarre.

Ouais, c'est définitivement bizarre d'être là, en face-à-face avec Jimin, après ce qui s'est passé hier.


Hier, je suis allé errer en ville.

Pour une fois, même si j'avais besoin d'évacuer l'incompréhensible colère qui m'avait envahi, j'avais passé la porte en sachant que je ne me battrai pas. Contre personne. C'était si inhabituel que cette pensée me donnait presque le vertige.

Il devait être seize heures quand la porte de ma maison claqua derrière moi, et, début décembre oblige, une heure plus tard il faisait nuit.

Contrairement à d'habitude, je ne m'étais pas orienté vers Itaewon, mais avais laissé mes pas me guider du côté de Hongdae.

Après des heures à marcher sans but, bien qu'à un rythme soutenu, il s'est mis à pleuvoir. Les légères gouttes froides venaient rafraîchir ma peau brûlante avant de s'écouler dans mon cou. N'importe qui aurait détesté cette sensation, mais moi, je l'adorais.
C'était comme si chaque larme du ciel emportait dans sa chute un peu de mon trop plein de sentiments.
Je basculais la tête en arrière pour offrir davantage mon visage à la pluie.

Je me laissais bercer par le bruit des pas sur le béton mouillé, et celui des gouttes martelant délicatement le trottoir.
J'admirais la manière si différente dont l'air humide transmettait la lumière des réverbères.

Je me sentais bien.
J'avais enfin l'impression d'être moi-même.

J'étais Min Yoongi, le jeune esthète, pas le garçon torturé. Celui dont les entrailles se tordaient quand il lisait un poème ou écoutait un concerto, pas celui dont celles-ci spasmaient quand il était en manque. Celui qui ouvrait de grands yeux sur la beauté du monde, et pas qui les fermait, de peur d'apercevoir ses démons, ou pire encore, ses émotions.

À ce tableau parfait vint s'ajouter un ange, ou peut-être un incube.

En effet, je vis à vingt-deux heures passées Park Jimin quitter une petite école de danse dont la devanture était peu luxueuse.
Il avait une veste posée nonchalamment sur son épaule, semblant avoir aussi chaud que moi. Il passa sa main dans ses cheveux humides -et qui ne risquaient pas de sécher, vu le temps-, puis attrapa sa bouteille qu'il vida à moitié avant de se lécher les lèvres.
Ensuite, apparemment toujours en sueur malgré sa récente douche, il vint essuyer son front avec le bas de son tee-shirt, me dévoilant ainsi son torse d'une minceur irréprochable et finement musclé.

À dire vrai, de brûlant, je devins incandescent, au point que je me sentais prêt à m'enflammer.

C'est à ce moment qu'il me remarqua.

Ses gestes félins, son regard amusé, son sourire séducteur... oh oui, l'angelot était bien un démon en fin de compte.

- Yoongi ! Je ne m'attendais pas à te voir ici. Tu m'en vois ravi !

La façon dont il mordilla sa lèvre en me regardant de haut en bas acheva ma raison. J'étais complètement pendu à ses gestes.

- Bon weekend ?

La situation était assez spéciale.

Nous nous voyions en dehors du lycée. Nous étions hors de nos rôles.

Nos rôles que nous tenons à la perfection toute la semaine : lui me rassure de son mieux, m'encourage, et moi je me montre pessimiste. C'est comme si nous avons un script, dont peu de choses s'éloignent. Cela ne sonne pas faux, mais est prévisible.

Ce soir, rien ne semblait habituel, routinier et prévisible.

Rien n'était semblable, ni la lueur qui brillait dans son regard, ni mes gestes peu sûrs.

- Qu'est-ce que tu fais dans les rues à une heure si tardive ? demanda-t-il.
- J'avais besoin d'air. Et toi ?
- Comme tu le vois, je viens de me faire mon shoot d'endorphines.

Remarquant enfin le temps, il sorti de son sac un parapluie qu'il ouvrit, avec toujours cette fluidité dans ses gestes.

- Tu veux un bout de parapluie, Hyung ?

J'opinai et il m'attira à lui en riant légèrement.

Je frissonnai au contact de nos deux peaux bouillantes.

Et pourtant, j'avais l'habitude des contacts physiques. Avec lui du moins.

Mais là, il y avait quelque chose de différent de toutes ces fois où il me serrait dans ses bras pour me montrer sa compassion, ou m'aider, ou se rassurer lui-même.

Non, celui-là n'avait rien à voir, sans que je ne puisse expliquer pourquoi.

Je l'avais raccompagné jusqu'à chez lui, après avoir pris de notre plein gré plusieurs détours pour rester ensemble un petit moment, bien que nous parlâmes peu.
Sa main frôlait la mienne quand nous marchions, ce qui me provoquait comme des petits picotements, des frissons, qui me donnaient envie de la serrer dans la mienne. Cet acte aurait été anodin dans un autre contexte, mais là il était très clair que je ne pouvais pas me le permettre. Du moins pas si je tenais à ce que la soirée ne prit pas une drôle de tournure. Car céder, ne serait-ce qu'un peu, à mes envies m'aurait empêcher de couper court aux autres, bien moins pures, qui m'envahissaient.

Au moment de nous séparer, on ne s'est pas embrassé.

Non, mais dire que nous n'en avions pas envie serait un mensonge, comme de dire que ni lui ni moi n'avions remarqué cette putain de tension presque électrique entre nous.
Alors que nos visages se frôlaient bien plus qu'ils n'auraient dû, je déviai vers son oreille et, comme un secret, lui chuchotai :
- A demain, Jimin-ah.

Il me répondit avec un sourire en coin en voyant à quel point j'avais du me faire violence pour ne pas écraser mes lèvres contre les siennes.




Je revêts de mon mieux mon masque impassible, tandis que le danseur semble être redevenu le petit garçon parfait et pur qui a peur que je me fasse du mal. Nous sommes au lycée, nous avons repris nos rôle.
Il semble, oui, car cette tension est toujours là quand je lui tends, les mains un peu tremblantes, le parapluie qu'il m'avait laissé la veille, pour que je ne sois pas trempé à mon retour.

Je savais déjà que Park Jimin m'attirait.
Désormais, j'en ai même développé une obsession :

celle de le voir danser.

HELP [Yoonmin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant