Ce weekend est beaucoup trop long. Après avoir terminé La Guerre de Troie n'aura pas lieu, je descends. Parce que, mine de rien, un corps, ça s'alimente. Et si ce dernier m'exaspère, je ne tiens pas spécialement à me priver sur ce point.
Je sèche souvent, voir toujours, les repas du midi -à l'école du moins-, mais uniquement parce que je n'ai pas faim. Dès que mon ventre gronde, je mange.
Je soupire en voyant qu'il n'y a plus de pâtes instantanées.
Je dois me faire à manger.Une fois mon repas -c'est-à-dire une omelette, ce n'est pas trop fatiguant à faire- terminé, je vais m'asseoir sur le canapé avec mon portable.
J'observe mon père en silence. Il a les traits marqués, les cheveux poivre et sel, même un peu trop blancs pour son âge, des lunettes rectangulaires et une mine concentré.
- Père ?
Il sursaute.
- Quoi donc ?
- De quand date notre dernière conversation ?
- Euh...
- Ou au moins la dernière fois qu'on s'est adressé la parole ?
- Quand tu m'as amené un repas au travail, je crois... C'était un vendredi, je ne sais pas il y a combien de temps.
- C'était avant ma rencontre avec Jimin, qui était il y a deux semaines. Je dirais... trois semaines.Il lève les yeux de ses calculs pour me scruter intensément.
- Où veux-tu en venir ?
- Tu trouves ça normal, toi, que nos derniers mots échangés datent d'il y a vingt-trois jours, et qu'ils se limitaient à "je t'ai ramené un bulgogi/Merci fils." alors que nous vivons sous le même toit ?
- Normal ? Par rapport à nous, ou aux autres ? Parce qu'en effet, pour des gens "normaux", ce serait inhabituel. Pour nous, non. Je ne vois donc pas le problème.Il n'avait même pas terminé sa phrase en me regardant dans les yeux, ses résolutions matricielles semblant bien plus importantes que moi.
De fait, il n'a même pas remarqué que ma main était en sale état. Ça m'arrange, je ne dis pas le contraire, mais quel père ne remarque pas le poing ensanglanté de son fils ?
Pour la première fois, le peu d'intérêt qu'il me porte me blesse. Ou alors ça a toujours été le cas, mais je ne m'en formalisais pas.
Je ne sais pas, il pourrait faire des efforts, non ?
- Dis moi, père, tu es heureux dans ton travail ?
- Qu'est-ce qu'être heureux ?
- Putain, t'es censé être prof de maths, pas de philo...
- Précisément. La définition du bonheur n'est donc pas de mon ressort.
- Bien. Alors parlons de mathématiques.
- Que veux-tu savoir ?
- Je ne sais pas, je n'en ai aucune idée ! Je veux juste qu'on parle...Il lève un sourcil. Moi-même, je reconnais l'absurdité de mes propos. Mais j'ai vraiment besoin d'avoir une conversation avec mon père. Ou même d'une dispute.
Quoi que ce soit, juste pour avoir l'impression d'exister à ses yeux.
- Tu ne m'aides pas, fils. Alors donne un sujet de discussion, si vraiment tu tiens à parler, mais dépêche-toi. Je ne vois pas l'intérêt de passer des heures à t'écouter alors que tu ne sais même pas que dire.
Sa voix était toujours monotone, de cette platitude frustrante. Pas une pointe d'agacement en ressortait. Au moins, cela empêchait ses mots d'être vraiment vexants. Et puis au fond, je sais qu'il ne cherche pas à l'être. Il n'est juste pas capable d'anticiper la réaction de son locuteur, ni même de l'interpréter une fois qu'elle a pris place sur son visage. Ouais, il est encore plus mauvais que moi en relations sociales.
Je fronce les sourcils, cherchant un sujet de conversation.
Je me souviens avoir entendu plusieurs fois des lycéens dire s'être fait passer un savon de la part de leur père par rapport à leur résultats scolaires. Vraiment paumé à l'idée de converser avec mon père, je m'engouffre maladroitement dans ce sujet.- On peut parler de mes notes...
- Tu as de bonnes notes partout, que veux tu que j'en dise ?
- Je te corrige tout de suite : mes notes ne sont pas bonnes, elles sont excellentes.
- Certes. Et ? Tu veux quoi, que je te félicite ?
- Non point. Je ne mérite pas de félicitations, je ne révise jamais, fais mes devoir d'histoire en classe d'anglais et lis mes oeuvres de coréen en maths. Je n'ai même pris aucune note de l'année. Je n'ai aucun mérite.
- Je sais.
- Tu faisais comment à mon âge ?
- Je suivais vaguement les matières qui me semblaient dignes d'intérêt, et brillais dans les autres sans leur porter d'attention.
- Mais toi au moins tu as beaucoup bossé, tu aimais bosser dans les matières qui t'intéressaient. Tu peux passer tes journées à résoudre des problèmes mathématiques plus difficiles les uns que les autres, parler d'informatique des heures, sans compter le nombre incroyable de connaissanes que tu as emmagasiné au sujet de l'astronomie... soupiré-je.Il hoche les épaules.
- Et alors ? Comme tu le dis, j'aime faire ça. J'ai eu plusieurs récompenses mathématiques pour mes travaux, et j'en suis fier, mais je n'ai pas plus de mérite à ça que toi pour tes résultats au lycée. Certes, je ne dévaloriserais pas mon travail en disant que c'était d'une grande simplicité, car ça ne l'était pas, mais me creuser la tête dessus était un plaisir, mieux, c'est ma raison de vivre. Comme toi pour la musique.
Je serre les dents à l'entente de sa dernière phrase. Je ne veux plus jamais rien avoir à faire avec la musique.
- D'ailleurs tu en es où ? Tu composes toujours ? Je ne suis pas beaucoup là, mais ça fait longtemps que je ne t'ai pas entendu jouer du piano.
Elle adorait ça, t'entendre jouer.Je sentais la colère m'envahir. Une colère d'origine inconnue. Elle est autant inexplicable que puissante. Et encore, puissante est un faible mot. Elle est envahissante, au point de monopoliser mes pensées, faire trembler mes membres, voiler ma vue.
Peut-être n'était-ce pas de la colère, à l'origine, mais mon corps ne sachant l'interpréter, se mît à bouillir, comme animé de fureur.
Je devais sortir.
VOUS LISEZ
HELP [Yoonmin]
Fiksi Penggemar《Laisse-moi au moins essayer ! - A quoi bon ? Tu t'enfuiras, comme tous les autres. Comme j'essaye de le faire. Va rejoindre la troupe de filles qui t'adule et fous-moi la paix. - Merde, Yoongi, tu es magnifique, brillant, doué dans tout ce que tu f...