Chapitre 5

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Cependant, les jours passèrent et, comme il l'avait annoncé, rien ne se passa. Elle avait beau se mettre en quatre, en avant, en valeur, il restait inaccessible. Le seul changement notable était que, si au début il l'ignorait froidement, au bout de plusieurs jours, il avait pris le parti de rire de ses vaines tentatives de séduction. En revanche, Takuya ne ratait aucune occasion de la ridiculiser.

Le soir du quatorzième jour, il lui annonça qu'elle pouvait retourner à son hôtel. Lorsqu'elle demanda comment elle était censée régler la facture du dépassement du séjour, il éluda sa question d'un mouvement impatient de la main. Elle n'avait que ses chaussures, son manteau et sa robe à emporter, elle fut prête en quelques minutes.

- Tu y vas comme ça ? demande-t-il comme elle avançait vers la voiture dont un garde lui ouvrait la portière.

- Il y a un problème ?

Il secoua la tête et enfonça profondément ses mains dans ses poches.

- Ça me rappelle juste que je n'ai jamais eu ce baiser, soupira-t-il.

Il l'avait dit sur le ton de la plaisanterie, et elle savait que cela ne prêterait pas à conséquence, alors elle le rejoignit sur le perron et lui fit une bise bruyante sur la joue. Il rit de bon cœur en l'enlaçant et en la serrant brièvement contre lui, dans un geste presque chaleureux. Pendant un moment, elle se souvint de cette soirée au club où leurs corps avaient dansé intimement, puis elle monta dans le véhicule et quitta la résidence. Sly n'était pas venu lui dire au revoir.

Elle retrouva sa chambre d'hôtel et ses affaires exactement dans l'état dans lequel elle les avait laissées. Le directeur la reçut personnellement pour lui expliquer que sa note était prise en charge, et qu'elle n'avait qu'à lui faire directement part de toute demande. Elle trouva cela un peu exagéré, mais elle lui était reconnaissante pour ce traitement de faveur. Ce n'est que quand elle s'apprêtait à quitter son bureau qu'elle commença à se poser des questions. En effet, lorsqu'elle lui avait dit qu'elle allait bientôt laisser sa chambre pour rentrer chez elle, le directeur, visiblement surpris, lui avait demandé si elle était certaine de pouvoir quitter le pays de son propre chef.

- Bien sûr, j'ai tous mes documents, répondit-elle.

Il avait paru confus et hoché de la tête tout en la raccompagnant dans le hall. Il appela alors une employée pour lui ordonner de bien vérifier que sa chambre était impeccable.

- Si vous souhaitez essayer une de nos suites, nous pouvons en préparer une pour vous dès maintenant, ajouta-t-il, et il salua poliment avant de prendre congé.

Elle retourna à sa chambre songeuse, escortée par l'employée, qui elle aussi, se montra fort polie, fit une rapide inspection, fit quelques propositions de services et aménagements luxueux qu'elle refusa.

- N'hésitez pas à nous solliciter, si vous changez d'avis, nous sommes là pour vous servir, insista-t-elle sur le pas de la porte.

Elle allait la refermer lorsqu'elle se décida à aller au fond des choses et l'attrapa par le bras pour l'attirer vivement à l'intérieur de la chambre à nouveau.

- Que se passe-t-il exactement ? demanda-t-elle en sondant son regard. Quelque chose a changé en mon absence ?

- Non, rien, Madame, répondit l'employée. C'est juste que...

Elle hésita, jetant des regards gênés comme pour éviter de croiser son regard.

- ... enfin, vous savez bien, bafouilla-t-elle en se tordant les mains. Votre petit ami...

Elle attendit que l'employée finisse sa phrase, mais celle-ci n'osait pas.

- Hein, mon petit ami ?

- Eh bien..., bredouilla l'employée, votre petit ami... Je veux dire... Vous voyez, les yakuzas... Il ne faut pas les contrarier...

En la voyant écarquiller les yeux, la pauvre femme paniqua soudain :

- Je ne veux pas de problème, je ne sais rien, dit-elle rapidement en s'enfuyant.

La porte de la chambre se referma doucement derrière elle. Sans la moquette au sol, ses pas précipités auraient résonné de longues secondes jusqu'à l'ascenseur.

- Sérieusement ?

C'était donc ça ? Parce que Takuya avait fait régler deux ou trois détails pour elle, elle était devenue aux yeux du personnel la « petite amie » du fils d'une famille de yakuzas. Il lui fallut quelques minutes pour repasser le film de ces derniers jours, avec le filtre de ce qu'elle venait d'apprendre. Si les activités de la famille Takuya étaient connues de notoriété publique, alors cela expliquait pas mal de choses depuis leur rencontre de club, comme le fait que personne n'osait la toucher après qu'il se soit approché d'elle, le fait que personne ne soit intervenu lors de l'altercation dans la rue, la facilité avec laquelle il l'avait ramenée chez lui après l'accident dans la voiture, et le questionnement du directeur de l'hôtel. Le luxe, les gardes, l'arrogance, même le style de vie... Tout devenait clair. Soudain, ce fut comme une révélation : elle avait sans doute gros intérêt à prendre le large rapidement !

En panique, elle saisit son gros sac de voyage, y jeta pêle-mêle ses affaires par pleines poignées, attrapa son manteau et ses papiers. En cinq minutes, elle était prête. Dans le couloir, elle courut jusqu'à l'ascenseur sans se soucier de son allure échevelée et débraillée. Si la chambre était payée par la famille de Takuya, elle pouvait partir à n'importe quel moment sans s'arrêter au comptoir de la réception. Elle traverserait le hall d'une traite et se perdrait dans la nature en attendant de prendre le premier vol pour rentrer chez elle. Le plan semblait solide.

Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent dans le hall, elle se rua hors de la cabine en bousculant par mégarde les autres clients qui la dévisagèrent. Elle pensa nerveusement qu'elle aurait dû porter un chapeau.

- Madame, est-ce que tout va bien ? demanda une employée qui venait à sa rencontre avec empressement. Vous nous quittez déjà ?

Elle se demanda si cette même personne allait plus tard appeler Takuya pour lui rapporter qu'elle avait quitté l'hôtel aussitôt arrivée.

- Je vais faire une visite à des amis dans une ville voisine, répondit-elle. Je reviens dans quelques jours.

- Entendu, dit l'employée. Souhaitez-vous que l'on vous appelle un taxi ?

Elle déclina poliment et sortit avec son bagage, consciente des regards qui la suivaient. Un taxi attendait dans la file, mais il était déjà réservé ; elle dut attendre quelques minutes qu'une voiture se présente. Puis elle se rendit dans un love-hôtel qu'elle avait remarqué près du club où elle était allée danser. Là, au moins, elle pourrait se reposer de ses émotions et savourer son anonymat. Elle n'avait pas dîné, mais elle se coucha soulagée. Le bruit des ébats des autres clients de l'hôtel ne l'empêchèrent pas de sombrer dans un sommeil apaisé.


La Fleur et le YakuzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant