Il lui fallut une dizaine de jours pour se remettre. Elle eut le temps de découvrir qu'il s'appelait Takuya, et que sa famille était suffisamment riche et puissante pour avoir son médecin et ses gardes privés. Elle était aussi suffisamment conservatrice pour qu'il soit sévèrement corrigé, physiquement, pour avoir créé un scandale, ramené une conquête de club dans la maison familiale, et enlevé une étrangère pour satisfaire des pulsions sexuelles.
- Ce n'est pas du tout ce que je voulais faire, se défendit-il avec amertume quand il passa devant elle, soutenu par deux gardes, le corps couvert de bleus.
D'ailleurs, le fait qu'elle fût étrangère était un détail : il avait ramené une femme qui n'était pas la sienne, et cela était impardonnable pour l'honneur de la famille. C'était assez surprenant pour elle d'être témoin de ce genre de philosophie en ces temps libéraux. Elle fut interrogée sur la nature de leur relation, contre-interrogée et confrontée à l'escorte de Takuya, qui fit beaucoup cas de son irrévérence. Mais puisque aucune débauche – pas même un baiser !- n'avait eu lieu, on la laissa tranquille. Enfin, pas tout à fait : on la pria avec insistance de rester dans la résidence le temps nécessaires à « l'apaisement des émotions », ou plus certainement, la disparition des preuves de l'incident, d'accepter un dédommagement conditionné à son silence.
Elle passait ses journées à se promener dans la propriété sobre et fonctionnelle. On lui servait ses trois repas dans sa chambre, sur un plateau en aluminium, comme à l'hôpital. La nourriture était bonne, locale et en quantité suffisante. Son mobilier était sommaire : un futon, une table basse, une armoire pour y ranger son manteau, ses talons hauts et son unique robe. On lui avait fourni une robe de chambre, un t-shirt et un pantacourt. Au début, elle allait pieds nus sur le plancher, les tapis et sur le gazon du jardin, puis on lui procura aussi des sandales pour le jardin.
A ce propos, il y avait souvent un jeune homme très intriguant assis dans le salon du jardin. Elle l'avait croisé à plusieurs reprises, toujours dans la même situation, à des heures différentes. Il s'installait sur une chaise, les pieds posés sur la table, et il lisait longuement sans prêter attention à ce qui pouvait bien passer autour de lui. Il était difficile de lui donner un âge ; elle trouvait qu'il pouvait bien être un fils de la famille, même si elle ne voyait pas bien la ressemblance avec Takuya. Elle n'osait lui adresser la parole, de peur de rajouter à l'opprobre dont elle faisait déjà l'objet. Alors, elle restait à l'observer de loin, depuis la terrasse.
C'est là que Takuya la trouva, lorsqu'il fut remis de la sanction familiale. Il fut d'abord étonné de la rencontrer hors de sa chambre.
- Tu es plutôt sans-gêne, dit-il avec un regard en coin. Tout ce bazar est pourtant de ta faute.
Il lui indiqua son épaule d'un hochement de tête. Ses cheveux mi-longs étaient attachés en queue de cheval ; elle put voir en partie un bleu qui dépassait sur son épaule et sur sa nuque. Il avait cru comprendre qu'il avait reçu des coups de bâton, mais elle n'en était pas sûre, et elle n'allait pas demander. Elle haussa les épaules et reporta son attention sur l'homme installé dans le jardin. Il suivit son regard, et lorsqu'il vit ce qui attirait son attention, il se mit à ricaner.
- Même pas en rêve, dit-il en secouant la tête.
- Pourquoi pas ?
Un mélange d'incrédulité et de désapprobation s'afficha sur son visage, et il poussa un soupir exaspéré.
- Ce n'est pas le genre de la maison, répondit-il simplement.
Et il la planta là pour rejoindre l'homme en question. Celui-ci leva les yeux du livre qu'il lisait et le salua d'un signe de la main. Il était à plusieurs mètres de distance, mais elle vit de loin la blancheur et la largesse de son sourire. Ça y est, je suis amoureuse, se dit-elle, émue. Avant de s'en rendre compte, elle marchait sur eux, frémissante et vibrante comme un sabre au clair. Takuya eut un geste d'impatience en la voyant s'approcher, et l'homme s'aperçut de sa présence. Après l'avoir brièvement évaluée du regard, il se leva, posa son livre et lui tendit la main. C'était une grande main chaude, ferme et un peu calleuse.

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La Fleur et le Yakuza
Ficción GeneralUne nuit de fête et une rencontre qui bouleversent sa vie... Faut-il résister ou se laisser porter par l'émotion et les événements?