Chapitre 9

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Effectivement, Takuya savourait ce moment. Il avait dans la paume de sa main tout son entourage, à commencer par Sly, cet excellent ami et confident, mais également l'exécuteur des décisions de ses parents. Celui qui infligeait les sanctions, avec loyauté certes, mais un zèle un brin vexant. Le voir subir stoïquement cette situation le vengeait pleinement de toutes les fois où, témoin ou complice de ses frasques, il avait aussi été son bourreau. Sly était celui qui pouvait lui faire mal sans s'attendre à des représailles, celui qui pouvait entrer accompagné dans les hôtels sans nuire à la réputation de la famille. Celui qui était assez bien placé pour être l'égal de l'héritier, mais aussi assez insignifiant pour ne pas devoir se plier aux mêmes règles que lui. Celui qui plaisait à cette femme fascinante et complètement folle. Il méritait de souffrir intensément, et longtemps.

Il s'était aperçu de ses sentiments pour elle quand il avait fait semblant de ne pas vouloir lui dire au revoir le jour où elle avait quitté la résidence. Pendant tout ce temps, il avait ragé en silence de la voir lui faire du rentre-dedans tandis qu'il feignait de l'ignorer. Il l'avait vue tout tenter pour attirer son attention. Pourquoi ne lui avait-il pas dit dès le départ qu'aucun de ses hommes n'oserait la toucher après qu'il ait dansé avec elle ce soir-là ? Il avait dû se sentir flatté d'être l'objet des avances de la femme que voulait son frère.

De fait, les parents n'avaient toléré qu'elle emménage dans la résidence de leur fils qu'à la condition que Sly se porte garant de la suite des événements. La tradition voulait qu'une femme non mariée ne puisse pas vivre sous le toit d'un héritier, pour une raison très simple : il ne devait y avoir aucun doute sur la paternité d'un enfant. Or Sly et Takuya avaient cette relation profonde, qui faisait de Sly l'égal de Takuya. Le calcul était simple : si Takuya se lassait d'elle, mais qu'elle venait à procréer, Sly devrait en endosser la responsabilité de cette faute. Il suffirait alors de les exiler, pour éviter le déshonneur d'une double offense à la tradition. La première étant ces mœurs libérées, et la deuxième, encore plus spectaculaire, étant le mélange inédit du sang des yakuzas avec le sang d'une femme noire.

C'était une bombe, dans tant de sens différents. Parfois, il trouvait incroyable ce qu'il était en train de vivre, une sorte de révolution et d'explosion en même temps. Quand il l'avait vue dans ce club, il n'avait pas pu se retenir : il avait mis ses mains sur elle, il avait dansé avec elle, il avait attendu qu'elle revienne. Elle n'avait pas eu peur, et elle ne savait pas alors même pas qui il était. Elle l'avait rejeté sans réfléchir. Et même quand il avait essayé de l'impressionner, elle avait résisté. Bon sang, elle avait osé l'amocher ! Il la voulait, sûrement, sincèrement, totalement. Il se promettait de faire imploser tous les carcans, de détruire tous ses rivaux. Quant à elle, il espérait qu'elle verrait sa valeur avant qu'il ne perde patience, car il ne se gênerait pas pour utiliser son pouvoir à son avantage.

Au fond, elle avait dû comprendre désormais, qu'elle n'avait rien à craindre de lui. Quand Sly lui avait expliqué sa situation personnelle après leur conversation au téléphone, il avait compris que c'était l'occasion de prouver qu'il était fiable. Elle qui venait de si loin, qui assumait tout son être seule, elle se retrouvait au bord de sa vie après avoir croisé sa route. Il n'allait pas lui laisser ce goût amer. Et puisque cela signifiait qu'elle pourrait rester encore un peu près de lui, pourquoi ne pas se lancer ? Sly n'aurait pas pu le faire seul : on l'aurait accusé de trahison. Il fallait que lui, Takuya, prenne cette femme sous sa protection. Il avait pris cette lourde décision, qu'il faudrait défendre devant sa famille et une communauté entière. Et pourtant le même soir, il l'avait trouvée sur les genoux d'un amuseur... ! Le souvenir de cette vision faisait encore bouillir son sang. Il lui ferait briser les os et arracher toutes les parties qu'elle avait touchées !

Il avait des sentiments plus mitigés pour Sly. Il ne pouvait ignorer qu'il avait la préférence de cette femme. Quand il les voyait ensemble, il n'avait aucun doute sur la loyauté de son frère et ami, mais les yeux de cette folle brillaient si fort, son sourire était si spontané, qu'il se sentait soudain confus et franchement en colère. Comment lutter contre ça ? Il n'aurait aucune compassion, même pour son frère. Il le dissuaderait d'espérer; il conquerrait le cœur de cette femme et le ferait battre pour lui. A ce propos, il avait prévu de l'emmener en rendez-vous ce soir. Il hésitait encore : comment effacer ce lien contrariant entre elle et Sly ?

La Fleur et le YakuzaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant