Chapitre 9 ~ Déséquilibre

142 14 0
                                    

Le trajet se fit en silence. Je regardai mélancoliquement le paysage défiler sous mes yeux. Nous marchâmes jusqu'à un immense pont engloutit d'une brume épaisse. Celui-ci avait été construit au dessus d'un grand précipice dont on n'arrivait pas à discerner le fond. Plus nous marchions et plus il était difficile de voir à travers ce mur voluptueux.  Des bruits attirèrent mon attention et je stoppai ma marche pour percevoir d'où ils provenaient.

Je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me retournai brusquement pour regarder le détenteur de celle-ci.

" Ne t'arrêtes pas", me dit Wayne 

Facile de dire ça mais on ne voit rien ici!

J'inclinai la tête vers le bas et me mit à pousser un cri de frayeur. Le sol était tel un nuage et je n'arrivai pas à distinguer où je marchai. J'avais l'impression de me déplacer dans le vide, sur aucune matière solide.

"-Tais-toi tu me casses les oreilles ! me gronda Wayne Et fais moins de bruit sinon..."

Il fut coupé par une violente rafale de vent. Une forme opaque se dessina devant nous. Elle avança si près que nous pûmes la voir distinctement. C'était une jeune fille dotée d'une peau diaphane et de cheveux blond dégradés de faite qu'il étaient plus clair à la pointe. Elle portait un long manteau gris clair, aux bordures brodées de noir, qui dissimulait derrière son dos quelque chose que je ne pouvais voir.

"- Voilà les ennuis qui commencent souffla Wayne."

Je ne fis pas attention à sa remarque beaucoup trop absorbée à contempler cette mystérieuse étrangère. Celle-ci fixa ses deux orbes noirs sur nous, d'un geste gracieux recoiffa les cheveux de sa frange qui l'a gênaient, et déclara ensuite :

" Vous voulez passer? Malheureusement pour vous, le pont est temporairement fermé. Je vous prie de ne pas bouger, je vais effectuer un petit contrôle."

Elle passa près de Wayne et le jaugea de haut en bas.

Et lorsqu'elle arriva à ma hauteur elle pencha sa tête sur le côté assombrissant une partie de son visage et déclara:

" Te regarder m'attriste. "

Je fus soudain propulsée vers l'arrière, quelque chose m'entraîna dans une nébuleuse que je prenais pour sol. Cette même chose tira sur mon poignet m'enfonçant dans ce nuage toxique. Je pus entrapercevoir une matière noire en décomposition et craquelée de toute part. Une autre substance fit surface, me plongeant plus profondément dans cet abysse. L'air était gorgé d'un gaz irrespirable et mes poumons me brûlèrent. Cette chose serrait mon bras m'aspirant dans une chute sans fond. Mon cœur se mit à drainer plus de sang tandis que je m'étourdissais. Je pus entrevoir une forme surgir au dessus de moi alors que mes yeux luttaient pour rester ouverts. Je sentis une bourrasque raser l'espace, la lourde prise se dégagea de mon bras et mon effondrement s'arrêta, j'eu l'impression de flotter. Une voix me parvint :

" Elle est à moi." 

Je toussais vigoureusement et me mit à gorger mes poumons d'oxygène.

J'en aurai fait l'expérience deux fois dans la même journée l'oxygène est indispensable à la survie humaine.

Lorsque j'eus retrouvé un souffle normal la jeune fille aux cheveux blond me présenta sa main gantée pour m'aider à me relever.

" Excusez moi pour ce petit incident, il faut dire qu'elles sont un peu agitées en ce moment. Pour vous dédommager je vous fait passer gratuitement pour cette fois." 

Elle se dégagea du passage et nous fit signe que nous pouvions continuer. Je restai immobile quelques secondes la fixant et mes lèvres s'ouvrirent sur une question :

" Quels sont ces créatures?"

Elle me fit un sourire énigmatique et disparut derrière le rideau nuageux.

Mais pourquoi est-ce que personne ne répond à mes questions?

Je soupirai d'exaspération tandis que je rejoignis Wayne. Lorsque nous fûmes arrivés à l'extrémité du pont il s'arrêta. Nous étions désormais face à face. Il me regarda. Il me posa un chaste baiser sur la joue. Il me fit signe de la main puis la brume l'emporta. Le brouillard se dissipa pour laisser place à la ville éteinte et morose. L'envie de faire demi-tour me saisit immédiatement et je me retournai. Il y avait des immeubles, des lampadaires, des routes, des trottoirs, des bouches d'égouts, des pilonnes électriques, une supérette, mais pas de pont. 

Pas de pont. me répétais-je 

Je clignais 10 fois des yeux.

" Si ça se trouve il n'y en a jamais eu", murmurais-je

Le ciel était orageux et manquait de craquer à chaque instant. Je marchai d'un pas las, les yeux perdus dans le vague. Les pavés étaient toujours aussi ternes, les murs toujours aussi gris et morose, l'air toujours aussi pollué. Vraiment cet endroit ne m'avait pas manqué. J'arrivai devant un grand portail qui semblait déchirer le ciel par ses affreux pics. Une fois à l'intérieur du bâtiment grisâtre, je fus accueillie par la mauvaise humeur de la directrice. Mais je n'écoutais ses sarcasmes, trop préoccupée par le fil de mes pensées. La dame colérique me congédia à ma chambre.

Est-ce que je les reverrai?

Je montais les escaliers pour arriver au première étage, je fis une quinzaine de pas avant de m'arrêter devant une porte en bois.  Je sortis une clé d'une de mes poches et l'insérai dans la serrure. Un clic retenti et j'ouvris la porte. Une chambre. Murs blancs. Fenêtre vue sur la rue bruyante. Un vieux bureau. Deux lits froids. Je fermai la porte et fus soudain glacée par la solitude.

Est-ce que je les reverrai?

Je me précipitai pour ouvrir la fenêtre. Je gonflai mes poumons d'air et expirai lentement. La nuit dominait désormais le jour. Les lampadaires étaient déjà allumés prêts à affronter l'obscurité. J'observai la route et comptai les voitures passer. Une, deux, trois, quatre, cin...

 Mon énumération fut interrompue par une petite masse noire. Mes yeux se mirent à la fixer jusqu'à remarquer sous la lumière pâle du lampadaire que l'étrange animal était en son centre. 

Non pas encore! Je ne veux plus le voir!

Je fermai d'un coup sec la fenêtre et me mis à courir vers la petite table qui me servait de bureau et en sortit d'une boîte métallique, l'amère pilule magique. Je l'avalais sans même avoir besoin d'eau, par habitude. Je courus me réfugier dans au coin de la pièce en attendant que la gélule ne m'apaise. Sans bouger. Les sens en alertes. Mes yeux parcourant l'espace de la chambre de haut en bas et de gauche à droite. Un rire sarcastique s'échappa de mes lèvres. 

Je me fais pitié.

Je pensais qu'en quittant cet endroit j'arriverai à m'en débarrasser, pourquoi est-ce que ça ne marche pas me demandais-je. Je frappai le sol de ma paume tremblante. Serrant mon poing jusqu'à ce je sois soulagée de mon agitation et de mon angoisse. Je me laissais tomber sur le côté contre le parquet d'ébène. Mon corps détendu et ma conscience tranquille. Finalement mon bonheur c'est l'ataraxie.

Beautiful Curse of SoulsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant