Chapitre 5 : les géocroiseurs

600 41 11
                                    

Au Centre National d'Etudes Spatiales de Toulouse, l'astrophysicien Jean-Philippe Terralia, pianota de nouvelles instructions sur le clavier de son ordinateur. A l'écran, plusieurs courbes rouges se modifièrent, symbolisant des trajectoires orbitales.

Debout derrière lui, Jacques Estregnol (le directeur du centre spatial) grogna. Cela faisait maintenant deux jours que tous les instruments du centre surveillaient les objets spatiaux  venus se placer en orbite terrestre, qui avaient surgi de l'espace sans aucun signal d'avertissement. Cette situation était invraisemblable et tout ce qui était invraisemblable avait le don d'énerver prodigieusement le directeur.

La surveillance des corps célestes était l'une des principales missions de l'agence de Toulouse. Une des plus discrètes, également. Quand la presse était avertie qu'un astéroïde pouvait menacer d'entrer en collision avec la Terre, c'était généralement après que tout risque majeur ait été écarté. Pas question de paniquer les foules...

Malgré la puissance toujours plus importante des radars déployés autour de notre planète, il était très difficile de détecter l'approche d'un astéroïde géocroiseur. On appelait ainsi le millier d'objets dont la trajectoire passait plus ou moins régulièrement à proximité de notre brave vieille Terre. A chaque nouvelle découverte, l'objet était référencé, sa trajectoire calculée et une fiche d'identité complète était dressée : dimensions, densité, composition supposée, variations possibles de trajectoire, et d'autres données, un peu plus secrètes que les autres, comme par exemple le pourcentage de chance de collision avec la Terre au cours des prochaines années et les conséquences possibles.

Le centre surveillait plus particulièrement Apophis, un caillou de 300 mètres de diamètre qui semblait bien parti pour nous frôler en 2029 et nous percuter en 2036... Avec sa taille imposante, il avait été déjà difficile à détecter. Le 11 décembre 2012, c'est un autre objet, de 3,6 km de diamètre qui était venu nous faire un petit coucou. Mais tous ces objets avaient un comportement relativement facile à prévoir : ils suivaient une trajectoire stable et ne se mettaient pas tout à coup à quitter leur orbite pour foncer vers le sol !

-- Toujours pas de changement d'orbite ? s'enquit soudain Jacques Estregnol, d'un ton rogue.

Il ne cachait même plus sa mauvaise humeur. C'était la faute au coup de téléphone que la direction parisienne venait de lui passer. Comme s'il pouvait deviner ce qu'allaient faire ces fichus cailloux en orbite haute depuis deux jours... S'ils voulaient plus d'informations, ils n'avaient qu'à débloquer plus de moyens ! Ce n'était tout de même pas sa faute, si l'un de ces trucs était soudain venu s'écraser en région parisienne !

-- Non, monsieur, répondit calmement Jean-Philippe, tout en continuant à pianoter sur son clavier. Ils semblent stables...

-- Vous avez reçu les analyses Dopler de la station spatiale ?

-- Oui, mais on ne détecte aucune masse métallique... Pas de signal radio, non plus... Aucun signe d'intelligence.

-- Manquerait plus que ça ! gronda le directeur en frappant du plat de la main sur le sommet d'un écran.

L'astrophysicien se lécha les lèvres en silence. Il avait bien sa petite théorie personnelle, mais il se doutait qu'elle ne plairait pas au pragmatique directeur. Quand un caillou arrivé tout droit de l'espace freine sa course pour se mettre en orbite autour d'une planète, et bien, c'est que ce n'est pas un simple caillou... Et encore moins quand il est accompagné par quatre autres cailloux au comportement identique...

-- Les américains sont en ligne ? s'enquit le directeur, en s'approchant d'un ingénieur assis devant d'autres ordinateurs.

L'interpellé secoua la tête négativement. Avec le décalage horaire, il ne fallait pas s'attendre à pouvoir contacter leurs homologues américains avant plusieurs heures. Au mieux, ce serait un ingénieur d'astreinte qui leur répondrait et leur demanderait gentiment d'aller se faire voir. Le directeur aurait pourtant bien aimé pouvoir profiter des super moyens d'analyse des USA.

-- Je vous préviens, s'énerva soudain le directeur, il va falloir me trouver autre chose comme réponse. Heureusement que le premier impact n'a fait aucun blessé, mais si vous n'êtes pas foutu de me calculer où ces trucs vont atterrir, il y a des têtes qui vont tomber !

Jean-Philippe piqua du nez comme ses autres collègues. Les colères de leur directeur étaient légendaires et personne n'avait envie de se retrouver en ligne de mire quand la prochaine éclaterait, ce qui ne saurait tarder, vue la tournure des événements. Heureusement, le téléphone portable du directeur se mit à sonner.

-- Allo ? Oui, c'est moi. Mes respects, monsieur le Président.

L'astrophysicien observa que son directeur se mettait quasiment au garde à vous. Le coup de fil avait l'air sacrément important. Tout le monde retint son souffle dans la salle de contrôle du centre d'études spatiales.

-- Non, aucun changement pour l'instant. Oui, nous ne les lâchons pas du regard... Non, monsieur le Président, cela ne ressemble pas à des missiles... ni à des satellites... C'est une hypothèse à envisager, monsieur le Président... Sauf votre respect, l'armée ne pourra pas tout prendre en main, monsieur le Président.

Le directeur continua à écouter son interlocuteur en silence, hochant la tête de temps à autre. Il parvint enfin à reprendre la parole :

-- Je peux être à Paris pour midi, monsieur le Président. Oui, je fais au mieux... Il faudrait que je puisse disposer des résultats d'analyse du premier astéroïde... Nous allons faire le maximum, monsieur le Président.... Mes respects...

Il rangea nerveusement son portable dans sa poche et se rapprocha de l'astrophysicien.

-- Je suis convoqué à Matignon... Vous venez avec moi, Jean-Philippe.

L'intéressé se leva sans sourciller et suivit le directeur qui fonçait déjà vers la porte de sortie. Ils n'avaient que très peu de temps pour se rendre à l'aéroport de Toulouse-Blagnac pour attraper un jet.

Pierres d'étoiles (Prix Wattys 2016)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant