Chapitre 18

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Les deux jours de préparation pour qu'Ursula acquiert toutes les informations dont elle avait besoin furent éprouvants pour Poséidon. Elle lui posait des questions sans arrêt, et d'ailleurs il s'agissait souvent de répétition. Elle était sur les nerfs, n'ayant encore jamais eu à supporter le poids d'un devoir aussi important. En temps normal, Poséidon n'aurait jamais laissé les clés de son royaume et sa protection à sa fille, qu'il jugeait encore inexpérimentée en tout, que ce soit en magie, en maturité ou en contrôle politique. Mais il n'avait pas le choix s'il voulait parvenir à ses fins et satisfaire son désir de vengeance.

Le jour de son départ arriva et il fit préparer l'attelage royal, comme lorsqu'il partait réellement en mission diplomatique. Les huit hippocampes habituels étaient là, attachés par les algues les plus solides et ils étaient soigneusement brossés et affublés de morceaux de corail décoratif et de joyaux afin de souligner la richesse du peuple des océans. Il ne fallait absolument rien laisser au hasard et ne pas laisser peser l'ombre d'un doute auprès de sa fille comme auprès des habitants. Il était navré en regardant son peuple attristé de son départ, venu pour lui dire au-revoir; les pauvres innocents feraient bientôt partie intégrante de son plan, à leur plus grand malheur. Mais il n'avait pas le choix, pensa-t-il.

"Je fais tout ceci au nom de la justice..." S'entendit-il murmurer, pour soulager et rassurer sa propre conscience.

Il n'eut cependant pas le loisir de s'attarder sur son plan ou sur ses remords, l'intendant qui devait l'accompagner arrivait, et avec lui la jeune princesse qui se rongeait les ongles de façon très indiscrète et dénuée de délicatesse pour une jeune femme de son rang. Il réprimanda cependant son envie de lui faire des remontrances lorsqu'il s'aperçut que ses yeux reflétaient une réelle détresse. Il éprouvait presque l'envie de rester au final, mais il se reprit. Il fallait absolument qu'il accélère le rythme des choses où sa vengeance ne prendrai jamais forme et il serait mort avant d'avoir pu faire quoi que ce soit. De toute façon, son plan était parfait.

"Votre Majesté, mes affaires sont toutes réunies et nous sommes tous fin prêts à partir."               dit l'intendant après avoir prit place sur l'un des majestueux hippocampes royaux. Celui-ci était un gringalet plutôt grincheux, mais il suffisait de le toiser d'un simple regard noir pour le calmer. Le roi l'avait toujours considéré comme une mauviette. Peut-être était-ce aussi du au fait que celui-ci avait pour sale habitude de se pomponner autant que les dames, ne laissant aucun cheveu en bataille, il était impeccable en tout point, de sa coiffure à son allure maigrichonne et même jusqu'à ses nageoires couleur saumon. 

"Père, je vous en prie, revenez-moi vite ! " 

"Oh je suis sûr que tu ne verras pas le temps passer. Tu seras tellement occupée par tous les préparatifs du festival des marées que je serais revenu avant même que tu n'aies le temps de songer à ton vieux père."

Et en effet, elle aurait du travail. Et tout ce travail servirait au plan du roi sans même qu'elle puisse s'en douter une seule seconde. Il avait une semaine pour se rendre sur terre et convaincre le roi Georges de mener bataille à l'endroit prévu avec ses sous-marins et ses navires de guerre. Ursula serait incapable de défendre son peuple et elle souhaitera se venger. Certes il fallait détruire le petit ilot de la fête et massacrer certaines créatures marines, mais le roi ne reculerait devant rien. Il détruirait l'espoir de sa fille envers les humains et corrompre son pouvoir ne sera plus qu'une question de temps. Elle deviendra sa machine de guerre la plus puissante. Et elle ne prendra ainsi pas sa place de souverain des océans avant longtemps.

L'attelage royal s'élança dans les courants marins et bientôt il ne fut plus qu'un point à l'horizon. Ursula retourna au palais et passa sa première matinée à s'occuper des affaires diplomatiques. Pendant ce temps, une fois arrivés assez loin du palais, le roi fit arrêter son char. Il mit l'intendant au courant du pot-au-rose, lequel fut terrifié par autant de froideur d'âme. Il n'osa cependant pas contredire son roi et lui donna raison en lui jurant allégeance, comme il l'avait toujours fait. Que pouvait-il faire d'autre de toute façon ? Il espérait juste que le peuple serait épargné quand même et que le roi se raviserait lorsqu'il se rendrait compte de la gravité de son acte.

Ils firent donc escale sur l'un des ports royaux et Poséidon se servit de son trident pour doter tout ses soldats de jambes. Ce n'était pas la première fois alors aucun ne fut décontenancé par les jambes ou la gravité terrestre. Le roi transforma son char océanique en carrosse terrestre et les hippocampes en grands étalons d'ébènes, de la même teinte que la chevelure de sa fille. Il n'aimait pas les routes terrestres, les bosses et le gravier faisaient rebondir le carrosse et cela lui donnait des maux de ventre. Pendant la route, il parla plus intensément du plan avec son intendant. Il ne manqua pas de lui préciser qu'il avait déjà assassiner des traîtres sans aucun scrupule et qu'il n'hésiterait pas à le foudroyer sur place si jamais il osait mettre en place une quelconque trahison. Le pauvre intendant devint encore plus blanc que de l'écume.

Ils arrivèrent aux portes du palais du roi Georges. Il s'agissait là d'un énorme château fort, bien qu'étant, pour la quasi-totalité, à l'état de ruines.  Les deux rois se présentèrent et s'installèrent autour d'une table aussi modeste que poussiéreuse. Celle-ci était en bois massif, mais dévorée par les vers et les termites. Le roi Georges lui-même semblait garder sur le dos la même tunique brodée rouge depuis des mois. Il n'y avait ici qu'une petite pincée de serviteurs et les chevaliers croulaient sous le poids de leurs armures rouillées, sans doute affaiblis et amaigris par la famine. Ce royaume faisait pitié mais l'intendant comprenait pourquoi son souverain venait ici : Un royaume aussi désespéré serait prêt à tout pour redorer un temps soit peu son blason. Et il eut raison, en échange d'un déclenchement de guerre maritime ( Poséidon se faisait passer pour un quelconque souverain des terres environnantes ) il lui promettait une caisse remplie de joyaux ainsi qu'un flacon d'encre de seiche, potion des plus précieuses et rares. Le roi Georges accepta sans sourciller, il devait sauver son royaume par tous les moyens possibles et il se moquait éperdument des raisons qui poussaient ce souverain voisin dont il n'avait jamais entendu parler, à vouloir l'extinction du peuple marin, tant qu'il respectait sa part du marché.

Les préparatifs pour la guerre commençaient et Poséidon mit en place le reste de son plan. Il devenait chaque jour plus mauvais. Il ne se souciait même pas du fait que sa fille puisse être tuée, ça ne lui traversait même pas l'esprit d'ailleurs.

Ursula quant à elle arrivait aisément à se dépêtrer parmi toutes les taches royales, les leçons de magie et les préparatifs du festival des marées. Son père avait eu raison sur un point : elle ne vit pas le temps passer et la semaine ainsi que les préparatifs qui allaient avec furent bientôt achevées. Elle fit tout cela en chantant, ce qui eu le don d'apaiser les gens et beaucoup de personnes vinrent l'aider joyeusement dans ses préparatifs en se détendant et en parlant de tout et rien comme des amis de toujours. Oui, elle n'était plus la princesse mais une véritable amie, et cette idée lui plaisait énormément. Sa mère lui avait toujours appris à ne pas faire de différence entre un noble et un paysan : ils étaient tous égaux.

Elle leva les yeux : les décorations se reflétaient dans la lumière du crépuscule c'était magnifique. Ce spectacle la fit chanter et la magie du collier rendit le lieu encore plus sublime : la lueur dorée qui s'en libérait donna aux autres personnes l'envie de se joindre au chant d'Ursula, ce qu'ils firent tous. Ursula en avait les larmes aux yeux; comme elle aurait aimé que sa mère soit là pour voir ça !

Le Chant de la SirèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant