Le lendemain la maison était plongée dans un silence paisible. Hémon devait dormir ou travailler calmement. Iréné ne pouvait pas l'assurer, elle ne l'avait toujours pas vu et se moquait bien de ses occupations. Elle-même était dans un état fébrile, attendant impatiemment la nuit, la redoutant au moins tout autant, elle ne savait plus vraiment. Pour passer le temps en bonne compagnie, elle avait convié Démora à déjeuner en compagnie de Timoclée. Kallista devait garder le lit selon le médecin. Iréné lui imposait le calme et avait mis à son service deux esclaves qui devaient rester auprès d'elle quoiqu'il arrivait.
Alors que la chaleur de midi s'abattait sur la Cité, les trois femmes partageaient du fromage et des fruits frais dans l'une des salles à manger. Démora et Iréné s'étaient mise d'accord pour épargner les questions dérangeantes à Timoclée et elles n'abordèrent pas Thèbes.
– Laissez-moi vous raconter le dernier ragot en cours à Athènes, commença Démora avec sa bonne humeur habituelle. Vous connaissez Orion ?
Iréné sourit en hochant la tête.
– Son nom ne me dit rien, répondit Timoclée.
– Orion, le fils dernier né d'Aeneas. Il doit avoir seize ans je crois.
– Je connais son père de réputation, confirma alors la Thébaine.
– Son fils est d'une beauté extraordinaire. Il a des yeux de nymphe ! Il aurait dû naître fille ! Il est tellement séduisant que tous ses professeurs sont tombés sous son charme.
– Son père ne veut pas qu'il fréquente d'hommes plus âgés, ajouta Iréné.
– Il ne pourra pas l'éviter plus longtemps, Orion est parfaitement conscient de ses effets. Il y a trois nuits, son mentor Nestor est venu à sa porte.
– Nestor ? s'étonna Iréné. Je croyais qu'il aimait les courtisanes !
– Des yeux de nymphe, répéta Démora en agitant frénétiquement la tête. Donc Nestor est venu comme bien d'autres, mais jamais la porte ne s'est ouverte. Son père est pire que Cerbère ! Le professeur avait dans ses bras un petit coq tout fringuant qu'il voulait lui offrir.
– Je n'ai jamais compris pourquoi les hommes s'offrent des coqs et des lièvres entre eux, coupa Iréné, perplexe.
Timoclée décrocha un sourire amusé, Démora se dépêcha de répondre, emportée par sa gaîté.
– Imagine ! Tu vois ton époux rentrer avec un lièvre sous le bras, tu sais qu'il a un amant ! Et s'il rentre avec toute une basse-cour, c'est que la nuit a été longue !
Cette fois-ci les trois amis rirent ensemble de bon cœur.
– Revenons à Nestor ! Il a frappé à la porte, l'a fait quérir, il l'a supplié de lui accorder quelques instants, si bien qu'Orion a fini par ouvrir la petite fenêtre du premier étage qui donne sur la rue. Nestor a été si surpris et content qu'il a levé les bras et relâché le coq ! Imaginez la scène ! La volaille galopait dans tous les sens, affolée, et l'illustre professeur lui courait après alors qu'Orion riait !
– C'est pathétique pour un professeur, déclara Timoclée le visage plus détendu.
– Oui, surtout que depuis cette histoire, lorsque Nestor entre dans l'Académie, tous les élèves caquettent comme des poules sur son passage !
– Les élèves caquettent et Aeneas rêve de le rôtir, intervint la voix de Démosthène en entrant dans la pièce.
Les trois femmes se redressèrent, surprises. L'orateur semblait éreinté et grognon. Il se servit un verre d'eau dans la coupe de sa fille et prit quelques grains de raisin.

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Dans leurs bras
Historical FictionIréné, jeune aristocrate d'Athènes, a tout : un père riche et respecté en la personne de l'influent Démosthène, un caractère trempé et rebelle qu'elle devrait probablement mieux contrôler, une indépendance relative malgré un époux imposé. Jusqu'au j...