Dans leurs bras

Chapitre 16 - Le châtiment

Quel âge avait-il déjà ? Cinq ou six ans... Encore l'âge d'être dans les bras de sa mère. C'était une fête religieuse pour Cérès, grande déesse de la fertilité. Beaucoup de femmes participaient, elles portaient des couronnes de blé et de fleurs sur leurs cheveux, tenaient d'autres enfants par la main, papotaient avec leurs amies.

Alors que les prêtres étaient occupés aux sacrifices, un attroupement se créa à l'arrière, près d'Hémon et de sa mère. Un cri retentit, le cri d'une femme. Puis une voix rocailleuse d'homme se mit à rugir : « Sale putain ! Tu n'es qu'une chienne ! De quel droit viens-tu ici ! »

La foule s'écarta au son d'une gifle qui fit frissonner toutes les mères. Hémon sentit la sienne tressaillir et reculer. Il vit surgir une femme plutôt jeune, avec de longs cheveux bruns et des yeux noirs. Un homme lui attrapa le bras et finit d'arracher le voile qui retombait sur ses épaules avant de la jeter à terre : « Souvenez-vous ! C'est Gaïa ! Qui a trompé son époux avec un peintre ! Elle a déshonoré le nom de sa famille et de son mari ! »

Il cracha sur elle et lui envoya son pied dans l'estomac. La jeune femme se recroquevilla. Il y eut alors quelques instants de battement avant qu'un autre homme n'exécute les mêmes gestes que le premier. Et puis ce fut la foule entière qui se mit à battre la pauvre femme qui gémissait. Plus les coups fusaient, plus sa mère le serrait contre elle, terrifiée. Lui ne comprenait pas grand-chose. Cette femme avait dû faire quelque chose de terrible pour qu'une punition publique lui soit ainsi infligée. Et lorsque les bourreaux en finirent, ils ne laissèrent qu'une petite silhouette qui le regardait sans le voir, les cheveux en sang, la bouche déformée par la terreur.

Il se souvenait de la peur qui l'avait submergé, probablement amplifiée par celle de sa mère. C'était le sort réservé aux épouses qui étaient infidèles et qui osaient réapparaître en public lors de manifestations officielles ou religieuses. Le lynchage était collectif. Il s'était toujours promis de ne jamais reproduire un comportement aussi violent et irrationnel afin de ne jamais provoquer une telle panique comme sa mère l'avait ressentie. À chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de songer à l'amant. Personne ne le blâmait. Comme il devait se terrer... et abandonner celle qu'il avait aimée. Finalement c'était cette femme, la plus courageuse, elle savait ce qui l'attendait. Et peut-être était-ce une déformation d'un souvenir d'enfant, mais il était prêt à jurer qu'il avait vu de la détermination au fond de ce regard noir.

Hémon essuya son glaive sur le revers du manteau. Il abandonna toutes ses occupations et sortit de sa maison. La nuit tombait à peine. Il traversa la longue rue, déboucha sur une place, il tourna dans une rue plus large, la monta, dépassa une entrée éclairée par deux torches, prit la première petite ruelle sur le côté, et s'arrêta devant un battant de porte. Il la poussa et ne rencontra aucun obstacle. Seul un soldat veillait derrière. Il n'eut pas le temps de prévenir qui que ce soit, Hémon l'assomma avec le pommeau de son glaive. L'homme s'effondra en silence, laissant l'intrus grimper l'escalier.

Devant lui une autre porte, entrouverte. De la lumière révélait un homme de dos, visiblement les bras croisés, supervisant le travail d'un esclave qui rangeait la pièce. Profitant du nombre, Hémon pénétra dans la chambre sans aucun bruit. Il s'approcha du roi, tendit le bras, et coinça sa gorge au creux de son coude afin de le ramener contre lui, la lame pointée sur le ventre.

Alexandre ne se débattit qu'une courte seconde, la menace était bien trop réelle pour s'amuser à la parer. Il devait parfaitement savoir que l'homme qui l'attaquait de dos avait les motivations suffisantes pour l'ouvrir en deux. Son esclave s'était redressé, figé sur place avant de tout lâcher pour détaler à toute vitesse hors de la chambre. Hémon ne bougea pas d'un pouce. Le temps parut se suspendre quelques instants.