Chapitre 3 - La négociation

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Démosthène s'invita à nouveau chez sa fille dès le lendemain. Son air préoccupé l'interrogeait. Il ne venait pas souvent ici, préférant sa propre demeure ou bien les édifices publics, pour parler politique. Peut-être, avec le contexte si incertain et le risque de tout perdre, désirait-il au fond de lui se rapprocher d'elle. Iréné l'espérait.

Comme Hémon était déjà sorti, elle profita de cet instant pour tenter d'aborder son mariage. Après tout, c'était lui qui avait négocié, elle ignorait les discussions en amont. Elle embrassa son père, lui offrit un siège dans le patio et se mordilla nerveusement la lèvre. Le front de son père était creusé par l'anxiété. Était-ce le bon moment ? Ça pourrait détourner son attention après tout. Elle s'élança.

– Papa, tu n'as jamais eu peur que Hémon soit un opportuniste ?

À la tête réellement surprise que son père lui offrit, elle se dit qu'elle avait été probablement trop directe.

– Hémon ? Il s'est passé quelque chose ? s'enquit-il.

– Non. Pas spécialement. Mais je suis ton seul enfant, et je suis une fille, ton héritage a pu attirer pleins d'opportunistes.

Démosthène acquiesça plus sereinement.

– J'ai eu énormément de demandes en mariage pour toi, et crois-moi, beaucoup ne pensaient qu'aux talents d'or que nous possédons. Jamais je ne t'aurais donnée à un profiteur. Hémon est un bon garçon.

En même temps, il n'allait pas lui dire « oui, tu as raison ». C'était un peu idiot comme question.

– Quand j'étais enfant, mes tuteurs ont détourné beaucoup de ma fortune. Ils pensaient que jamais je ne saurai quoi faire contre eux. Mais quelques années après, au tribunal, ils ont bien compris à qui ils avaient à faire. Je sais reconnaître un opportuniste lorsque j'en vois un.

Les paroles de son père la rassurèrent sur le coup, mais le doute n'avait pas disparu. En même temps, elle était persuadée qu'il la défendrait quoiqu'il arrive, et la parole de Démosthène, le défenseur de la liberté athénienne, valait la parole des dieux eux-mêmes.

Les portes de la maison s'ouvrirent à cet instant et Hémon entra, suivi de Kyros. Iréné sentit son sang se glacer, elle n'osa pas chercher dans le regard de Kyros une quelconque manifestation de désir ou de jalousie. Elle conserva l'attitude d'une femme dévouée et discrète en n'allant pas à leur rencontre. Démosthène se leva pour les rejoindre, ils se rendaient sûrement à l'agora pour rejoindre les autres, l'abandonnant dans la longue attente.

Iréné les regarda donc partir et s'apprêtait à se retirer dans son appartement quand un petit éclat doré attira son attention. Elle se pencha sous la chaise où son père était installé et découvrit une pièce d'or qu'il avait accidentellement fait tomber. Elle la saisit pour la conserver. Le visage frappé sur le droit de la monnaie l'immobilisa.

– Darius ?

Le grand roi perse ? Que faisait son père avec de l'or perse ?

Les deux messagers entrèrent de nouveau sous la tente après une courte nuit passée dehors. Alexandre n'avait pas convoqué son état-major, il était seulement accompagné d'un vieil homme, assis à ses côtés.

– Voici ma réponse à Athènes, dit-il en tendant la missive.

L'un des deux hommes l'attrapa, surpris de ne pas la recevoir scellée. En vérité, Alexandre voulait voir la réaction d'un Athénien à ses propos. Il guetta donc leur comportement qui ne se fit pas attendre. Ils n'étaient pas vraiment autorisés à discuter les paroles du roi au nom de la Cité, mais pourtant ils ne purent s'empêcher de démontrer de l'abasourdissement et de la frayeur. Cette réaction suffit à Alexandre qui reprit la lettre de leurs mains, apposa son sceau et la leur rendit tout en leur faisant signe de disposer. Il les suivit du regard jusqu'à ce qu'ils disparaissent sur la route. Au loin, les remparts fermés de la ville ne le nargueraient plus très longtemps.

Dans leurs brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant