Chapitre 14 - La demeure du bord de mer

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Le soleil tombait lentement dans la mer, abandonnant des restes orange et rouges sur la plage. Iréné baissait peu à peu son ombrelle, les doigts de pieds enfoncés dans les petits grains chauds. Les dix jours qui venaient de s'écouler avaient été teintés de quiétude et d'apaisement. Son père ne les avait pas suivis mais le jour de leur départ, il n'avait pas pu s'empêcher de critiquer cette retraite, c'était une erreur stratégique de quitter Athènes. Alors Hémon avait convié Aristote, prétextant que les curiosités de la mer, et notamment de la plage qui bordait sa grande propriété isolée, valaient bien quelques jours loin des murs de la Cité. Le philosophe avait accepté avec plaisir et emmené dans ses bagages quelques élèves de sa nouvelle école. Hémon ne s'était pas attendu à cette mégarde : les adolescents avaient cru dur comme fer que le sauveur de Démosthène les prendrait sous son aile pour des enseignements privés.

Malgré tout, éloignée de son amant, Iréné retrouvait un certain calme de l'esprit. Et elle redécouvrait Hémon. Ou plutôt elle découvrait Hémon. Elle passait de longs moments avec lui, à le regarder travailler, puis elle sortait en balade et observait les vagues qui ne cessaient leur mouvement hypnotique. Ils avaient emmené Lydie et ses enfants pour qu'ils puissent profiter de la campagne. Timoclée, elle, avait décidé de rester auprès de Kallista qui ne pouvait toujours pas bouger. L'accouchement se passerait très bientôt, elle avait besoin d'une présence constante à ses côtés. Alors, isolés tous les deux, Iréné se rapprochait de son mari qui continuait à lui témoigner une vague indifférence.

Elle avait découvert l'homme responsable qu'il était, investi dans ses affaires. Elle l'avait suivi dans une ronde sur ses terres, toutes sous la responsabilité d'intendants de confiance qui faisaient fructifier blé, oliviers et vignes. Hémon n'écrasait personne de reproches, il félicitait le riche client comme le simple garçon de fermes. Iréné reçut de tous des compliments, elle ne remarqua qu'à cet instant que jamais encore elle n'avait accompagné son époux dans ces tâches-là, alors qu'il l'avait pourtant conviée plusieurs fois au début de leur mariage. À la suite de ses nombreux refus, il avait simplement abandonné.

Elle remarquait surtout qu'elle lui trouvait de plus en plus de charmes. Avait-il changé ou était-ce elle ? Elle le trouvait plus grand, moins fermé, cette barbe naissante lui donnait plus de caractère, il s'imposait mieux. Son affection perdue pour son époux revenait au galop.

– Regarde ! interpella une voix derrière elle. Regarde Iréné, fille d'Athènes ! s'exclamait Aristote avec un enthousiasme débordant.

Il avait entre les doigts une énorme étoile de mer orange qui bougeait lentement ses branches.

– J'ai sectionné un bras de cette étoile en arrivant et regarde ! Elle a le pouvoir de se régénérer, le bras repousse !

– Si seulement nous en étions capables !

– Nous aurions une armée immortelle !

La remarque lui fit froid dans le dos. Aristote était grec, mais il demeurait le mentor d'Alexandre.

– De Macédoniens ? Ou de Grecs ?

– D'Hommes !

– Et contre qui nous battrions-nous ? s'amusa la jeune femme, plus détendue.

– Nous pourrions commencer par nous défendre et prévenir au lieu de provoquer des conflits, proposa Aristote.

– Et c'est le maître du roi qui dit cela ? douta-t-elle.

– Je suis un fervent démocrate et j'éduque un monarque, c'était un paradoxe dès le début, répondit-il avec un sourire.

Elle acquiesça, vraiment contente d'avoir le philosophe savant à ses côtés.

Dans leurs brasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant