Du silence et du froid. Un soupçon de grisaille agrippée à des toits de tuiles et des girouettes de fer. Une ville entière engloutie par une aurore délavée soufflant un vent algide et transperçant. Ou plutôt l'avènement d'une matinée commune à Merath.
Sur l'un des versants de ces faîtages exhalant des nuages de vapeur de leurs cheminées fumantes, une silhouette se dessinait. Genoux repliés, dos droit, Solveig aimait se perdre dans la contemplation de la nature. Ses longs cheveux ébènes emportés par de glaciaux courants d'air, elle laissait s'échapper d'entre ses lèvres bleuies la grise fumée de sa cigarette, gonflée par le souffle chaud de son haleine.
Au-dessous d'elle, dissimulée par d'épaisses couvertures, Elke sa cadette dormait à poings fermés, l'heure des cours n'ayant pas encore sonné. Comme à l'accoutumé, Solveig irait doucement la tirer de ses rêves salutaires, avant de s'en aller travailler à l'unique poste de police que possédait son patelin isolé.Avant cela, il lui restait encore dix insignifiantes minutes pour profiter de son aparté de tranquillité, pour la savourer. L'épais manteau floconneux recouvrant l'asphalte étouffait chaque son, chaque murmure, rendant le calme matinal bien plus profond et assourdissant. À cette hauteur, alors qu'elle pouvait prétendre fleurter avec le ciel, Solveig se sentait délivrée du poids de son propre corps, il lui semblait même être capable d'échapper à la gravité. Et c'était cette légèreté l'habitant qui la hantait, ne la lassant jamais de ces réveils prématurés, ni de ces températures boréales. La réalité la rattraperait suffisamment rapidement, comme elle le faisait chaque jour et l'immaculé blanc ne tarderait pas à se gorger d'un rubicond aux senteurs métalliques, qui tracerait la voie de ces futures enquêtes.
Ce n'est que quand les ombres les plus denses se firent plus légères, et les ténèbres plus distinctes que la jeune femme délassa ses membres engourdis, afin de rejoindre les profondeurs chaleureuses de sa demeure où elle dégusta son café noir, qui lui brûla le bout de la langue. Puis l'horloge afficha un cinq heures pétantes, auquel elle répondit en s'emmitouflant dans un ensemble peu soigné où écharpe, bonnet et manteau se superposaient les uns à la suite des autres.
Le rugueux du bonnet de laine arracha un grommellement mécontent à Elke, qui avait cessé d'espérer qu'un jour son aînée s'en détache avant de venir la gratifier de son baiser matinal. Sa tignasse aux boucles blondes éparpillée sur l'oreiller, elle esquissa une moue froissée par la fatigue avant d'ouvrir de grands yeux céruléens. Elle se noya dans les orbes abyssaux de Solveig qui la happèrent avec intensité.
Et intense sa sœur l'était. Chacun de ses traits, chacun de ses mouvements vous saisissaient aux tripes. Peut-être était-ce ce regard fait d'obscurité ou de cauchemars qui paraissait vous engloutir, peut-être était-ce le contraste saisissant de sa peau d'albâtre dépourvue de toute imperfection rendant l'encre de sa chevelure plus foncée qu'elle ne l'était déjà, peut-être s'agissait-il de ce vide vertigineux dont elle semblait être faite, ou tout simplement de sa beauté tranchante paraissant pouvoir vous blesser à trop la contempler.
Elke n'aurait su le dire avec précision, cependant elle était persuadée d'une chose, Solveig n'avait jamais été taillée pour l'amer banalité de ces vies platoniques. Auquel cas, elle les aurait rendues palpitantes par sa propre volonté, parce qu'elle n'avait jamais été de ceux qui subissent mais plutôt de ceux qui font face sans jamais abandonner.- Évite de te rendormir pour ce premier jour, si madame Viiyr pouvait pour une fois, n'avoir aucune excuse pour m'alpaguer pendant une heure, je t'en serais très reconnaissante.
- Huuum...
- Sinon tu seras de corvée d'auge jusqu'aux prochaines vacances !
Sa menace eût l'effet escompté puisqu'Elke fut soudainement délestée de toutes ses couvertures, prête à sortir du lit.
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Solveig Ylgr : Empreintes d'Hiver
WerewolfSolveig Ylgr vit dans le village de Merath depuis toujours. Tutrice de sa cadette Elke elle doit faire face à de nombreuses responsabilités, son travail dans la police scientifique empiétant sur son temps. Avec Ensio son partenaire et ami infaillibl...