Chapitre 2 - 1999 - Abbacchio (4)

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Le chapitre commence un peu brusquement, c'est parce que j'ai été obligée de couper là à cause de la longueur. Il reprend exactement après le moment ou le précédent s'est arrêté, c'est à dire Fugo qui déprime tout seul sur le canapé au milieu de la nuit.


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Il faisait nuit noire quand Abbacchio se réveilla. Il se sentait mal, il avait comme une boule au ventre depuis que lui et Fugo étaient rentrés de la boite de nuit, un début d'angoisse, une sensation qu'il connaissait bien. Les draps avaient l'odeur de Bucciarati et il adorait ça, sûrement plus qu'il ne devrait, mais cette nuit là ça ne suffisait pas à l'apaiser. Heureusement, Abbacchio n'était jamais seul dans les moments comme ça, où les des idées noires frappent à la porte. Il savait qu'il pouvait toujours trouver du réconfort auprès du Christ, ou plutôt de ses larmes, qu'il avait fini par dénicher planquées derrière le lave-linge. L'idée de se mettre un peu d'alcool dans le sang le motiva à se tirer des draps qui sentaient Bucciarati. Il était temps de rallonger un peu la ligne de bouteilles vides. Abbacchio avait comme grand projet de lui faire faire tout le tour du canapé. La valeur d'un homme se mesure à la grandeur de ses objectifs.

Il fut coupé dans ses intentions en traversant le salon. Fugo, qui aurait dû dormir, était là, assis sur le canapé dans ses vêtements de la veille, ses bras entourant ses jambes, menton contre genoux, les yeux grands ouverts. Il s'était pas couché ? Il était cinq heures du matin, ils étaient rentrés à trois heures, il était resté là tout ce temps à regarder le vide et à gamberger ? Purple Haze était là aussi, recroquevillé dans un coin de la pièce. Il émettait un grondement sourd en continu. Il remuait un peu, mais Abbacchio ne le voyait pas bien dans la pénombre, juste ses yeux.

Le gamin ne se tourna pas vers lui mais il dut sentir sa présence parce qu'il déplia les jambes et se redressa, reprenant la même posture d'enfant bien élevé que dans la boite de nuit. Il attendait Bucciarati, c'était flagrant. Il avait besoin de lui. Plusieurs fois, quand Abbacchio décuvait sur le canapé, il avait surpris Fugo en pleine nuit, dans son pyjama à fraises, avec son oreiller dans les bras, se faufiler dans la chambre du leader. Abbacchio se moquait de lui. « T'as pas passé l'âge de dormir avec ta mère ? » Fugo ne lui répondait jamais. Ces nuits-là, il avait toujours l'air en détresse, trop malheureux et prisonnier de ses pensées pour lui accorder de l'attention. Comme maintenant, ses yeux rouges fixés sur la porte d'entrée, un peu vitreux, un peu gonflés. Abbacchio aurait voulu réconforter le pauvre gosse mais qu'est-ce qu'il pouvait faire ? Il n'était pas Bucciarati. Le gamin le détestait et il avait bien raison, il n'avait sûrement pas envie qu'Abbacchio vienne l'emmerder.

Encore que.

Depuis qu'il s'était installé là, et en général chaque fois qu'il venait, Fugo s'enfermait dans sa chambre pour pas le voir. Pourquoi là, à cinq heures du matin, il s'était mis dans le salon si ce n'était à cause de cette sensation qu'Abbacchio lui aussi connaissait bien : ne plus supporter la solitude.

Il s'approcha avec précaution. l'ado ne bougeait pas, alors Abbacchio se risqua à poser une fesse à l'autre bout du canapé. Pas de réaction. Il était censé dire un truc là, non ? le mioche allait se demander ce qu'il foutait là, c'était pas comme s'ils étaient proches. Mais il devait dire quoi ?

À défaut, il alluma la télé. À cette heure-ci il ne passait que le téléachat. Ça irait bien.

Les minutes passèrent. Les yeux de Fugo n'étaient maintenant plus fixés sur la porte mais sur la télé. Abbacchio remarqua aussi qu'il avait abandonné sa posture de poupée sage et remonté ses jambes sur le canapé. Ils restèrent un moment à regarder la télé, le jour allait se lever bientôt. Le téléachat ne présentait que des articles à la con, une brosse à cheveux chauffante, mais qui pouvait bien utiliser ce genre de conneries ?

Purple Haze sur le parvis de San Giorgio MaggioreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant